Festival Jazz Musette des Puces

Festival Jazz Musette des Puces
Didier Lockwood, au hasard des rencontres. © A.-L. Lemancel

Du 5 au 8 juin, se déroulait pour sa 11e édition, entre Saint-Ouen et le 18e arrondissement parisien, le festival Jazz Musette des Puces. Au programme ? Une grande Tournée des Bars (11 en quatre heures !), assurée de mains de virtuoses par les trois saints patrons de la manifestation, Serge Malik, le violoniste Didier Lockwood, et le guitariste Yvan Le Bolloc’h. En bonne journaliste embedded, on suit leur piste, avant de rejoindre le Grand Concert du soir, où sévit notamment, le Belge Arno. Une balade, tous sens aux aguets, dans ce lieu atypique, sur les traces de sa bande-son : le jazz-musette.

Des harangues, des couleurs, des étoffes, des vieilleries – bibelots, bric-à-brac, fripes –, des glaneurs, des flâneurs, des chineurs, des touristes, des antiquaires : nous voici au cœur des Puces de Saint-Ouen, lieu mythique de tôle et de zinc, qui conserve dans ses ruelles l’âme frondeuse du vieux Paris.

Ce samedi 6 juin, s’enroulent aux francs rayons du soleil, les notes véloces des guitares manouches, sur lesquelles glissent les envolées des violons, contrebalancées par le swing costaud des accordéons. En ce début d’après-midi, cette bande-son des Puces, dans l’esprit de Django Reinhardt, Jo Privat, Gus Viseur, etc. s’échappe de toutes les terrasses de café.
 
Au Picolo, justement, l’un des cœurs battants de ces lieux, un gaillard baraqué, lunettes teintées, gouaille alerte et cigare aux lèvres, affirme : "Je suis né ici, dans ce bistrot, propriété de mon grand-père, cafetier, créateur du marché Malik. En véritable gamin des Puces, je voulais aider à conserver l’identité culturelle de ces lieux : celles d’une France en miniature, métissée, bigarrée, où toutes les tendances se croisent, s’acceptent, se combattent, se rejoignent… " Ainsi parle Serge Malik, guitariste de studio pendant quarante ans (Aznavour, Bécaud, Salvador, etc.), ami de Jo Privat, qui lui offrit son premier instrument, cofondateur, en 2004, avec son compère Didier Lockwood, du festival Jazz Musette des Puces. L’édition 2015, du 5 au 8 juin, perpétue ses traditions : Concours Jeunes Talents, Bal, Grand concert, et… l’inénarrable Tournée des Bars, clou de l’événement !
 
La musique jusqu’à plus soif
 
14h00. Il s’agit, d’ailleurs, de ne pas traîner. "Didier, t’es prêt ? T’as ton jack ? Ton violon ?" Serge Malik alpague ainsi son copain Lockwood, qui débarque jovial, avec son sourire et sa casquette. Démarre pour le violoniste, un véritable marathon : onze bars en moins de quatre heures. Le principe ? Jouer avec tous les groupes croisés sur la route. Top chrono ! Quelques duels violonistiques avec Jérémie Tordjman au Picolo, des mélopées avec une chanteuse de jazz, quelques notes bluesy échangées avec Camille Bazbaz, des mélodies tendres avec le jeune guitariste Noé Reine, au Roi du Café… Quand il déboule à l’improviste, le public s’exclame : "Oh ! Didier Lockwood !"
 
Entre deux zincs, le producteur Malik, explique : "Cette tournée des bars possède des racines historiques. A l’époque, les Aveyronnais et autres migrants du Massif central, marchands de vin et de charbon aux Puces, jouaient de l’accordéon, leur 'muse'. Les manouches, installés de longue date ici, le long des Fortifs, grattaient leur guitare. Lors de leurs tournées des bars, pour récolter quelque argent au chapeau, ces deux mondes croisaient le fer : leurs musiques se mêlaient ; l’accordéon, qui swinguait, à mon sens, comme un wagon de choucroute, se mit à groover du diable… Ainsi naquit notre jazz européen, manouche, musette, parrainé par le grand Django."

De sueur et d’amour
 
Nous voici justement dans le temple sacré, la Chope des Puces, rue des Rosiers, propriété de la famille Garcia (Ninine, Mondine…) depuis quatre générations, reprise par le roi des forains, Marcel Campion, où se produisait, notamment, maître Django. Sur du manouche pur jus, Lockwood délie son archet, galvanise l’auditoire. Une digression brésilienne – La Bohème sur un air de samba – à l’Espace Vintage (Clube dos Democraticos) ; quelques airs avec les Russes d’Opus 4, les poumons pleins de chansons, sur un violon à pavillon, auto-amplifié ; deux panachés sirotés… Décidément, Lockwood s’éclate ! "Ça me rappelle mes débuts dans les bals, une école exigeante, dit-il. J’adore cet événement populaire, mais non populiste. Mon violon suffit à mon bonheur ; j’aime retrouver le goût des surprises au coin des rues" sourit-il.
 
Plus loin, un autre assoiffé de musique réalise une autre tournée. Il s’agit du troisième larron, coorganisateur de l’événement, l’ancien animateur de télévision, Yvan Le Bolloc’h, qui avec sa guitare (elle s’appelle "Reviens"), emprunte des routes "rumba flamenca" : "La musique, c’est comme les mobylettes, ou les tondeuses à gazon, ça marche au mélange !" s’esclaffe-t-il, avant de reprendre, sérieux : "Nos arts se jouent dans la proximité des tintements de verre, des ordres du patron. Il y a cette connivence avec le public : tu peux suivre l’itinéraire de la goutte de transpiration du musicien, qui ruisselle sur son visage, jusqu’à s’écraser sur la caisse de sa guitare."
 
Un grand concert en bouquet final

Dans la sueur et l’amour, la tournée des bars s’achève… En point d’orgue, tout ce petit monde se retrouve au Stade Dauvin (Paris XVIIIe), pour le Grand Concert du soir, qui surfe sur des esthétiques diverses comme la chanson française : un clin d’œil aux chanteuses des rues (Damia, Fréhel, Piaf...) qui aux Puces, donnaient de la voix, dans des cornets de frites, utilisés comme haut-parleur, explique Malik.
 
Ainsi, le Belge Arno transcende la foule de son chant plein de cailloux et de sentiments. Avec son European Peace Collectif, une section cuivre et deux choristes, il reprend les chansons phare de son répertoire, et celles, emblématiques, de la guerre de 14-18. Après ce sublime concert d’écorché vif, s’ensuit le jazz d’orfèvre, délicat, nuancé, du trio Sylvain Luc (guitare)-Lionel Suarez (accordéon)-Didier Lockwood ; puis la grande kermesse rumba-flamenca, teintée d’humour, d’Yvan Le Bolloc’h.
 
La journée s’achève avec le crooner swingué Lemmy Constantine qui réunit, pour le bouquet final, Lockwood, Luc, Suarez et le jeune guitariste prodige Tom Ibarra. Sous les étoiles, Lemmy chante : "Goodbye Django, Goodbye". L’âme du gitan plane décidément sur la nuit des puces…
 
Site officiel du festival des Puces