Nouvelle scène bikutsi au Cameroun

Nouvelle scène bikutsi au Cameroun
Majoie Ayi, figure montante du bikutsi connue pour sa danse et sa voix grave © sarah sakho

Musique emblématique du Centre et du Sud du Cameroun, le bikutsi a gagné ses lettres de noblesse dans les années 1980 grâce à des groupes phares tels les Têtes Brûlées qui y ont introduit le son électrique de la guitare, popularisant le genre à travers tout le pays et même à l’étranger. Trente ans plus tard, à quoi ressemble la nouvelle scène bikutsi du Cameroun ? Tour d’horizon à Yaoundé, la capitale.

Le bikutsi se porte bien. Le Carossel, cabaret mythique de ce genre musical à Yaoundé au quartier Kondengui ne désemplit pas. Du jeudi au dimanche, une clientèle populaire et alcoolisée vient y oublier ses soucis de la semaine en dansant sur ce rythme traditionnel beti revisité par les stars du moment...

Le lieu a beau être modeste – de grandes tables de bois blanc recouvertes de toiles cirées - les grandes figures du bikutsi s’y produisent régulièrement en live. La célèbre chanteuse K-Tino y est d’ailleurs annoncée ce week-end promettant un véritable raz-de-marée. Pour l’heure, ses tubes crachés par les baffles du Carossel concurrencent ceux de Lady Ponce, Majoie Ayi, Mani Bella ou encore Letis Diva.

Ces dernières années, le bikutsi s’est en effet très largement féminisé. K-Tino, alias Catherine Edoa Ngoa, surnommée "la Femme du peuple", a ouvert la voie il y a une quinzaine d’année à une pléiade d’artistes qui ont en commun de mêler danse endiablée et textes très suggestifs ayant principalement rapport au sexe, à la jalousie, au "kongossa" (ragots) et aux rapports conflictuels entre hommes et femmes. "Je te donne mon corps, je te donne mon esprit et ça, et ça là, ça aussi, ça la prends cadeau" chante ainsi Lady Ponce sur scène en désignant sans sourciller ses parties intimes. Star incontestée du bikutsi au Cameroun, Lady Ponce s’est imposé en trois albums par sa musique festive, mais aussi en mettant en avant son style vestimentaire osé (ou vulgaire… la nuance fait régulièrement débat chez les aficionados du bikutsi au Cameroun) et des clips vidéo modernes. Résultat : Ça là, le titre phare de son troisème album, modestement intitulée Bombe A, connaît un succès immodéré qui ne semble pas près de faiblir alors même qu’un nouvel album de la "Ponceuse" est annoncé en grande pompe. Cet opus pourrait bien être le dernier d’une longue période puisque la chanteuse a d’ores et déjà annoncé mettre sa carrière entre parenthèses jusqu’à nouvel ordre.

La relève semble toutefois assurée avec notamment Majoie Ayi, autre figure contemporaine du bikutsi, reconnaissable par son timbre grave et la danse - ingrédient indispensable au succès d’un tube de bikutsi - dans laquelle elle excelle. Qui a bu boira tube de son second album New Horizon sorti en novembre dernier tourne en boucle dans tous les cabarets de la capitale.

Danses electriques et paroles crues

Dans le sillage de ces dames, une pléiade de jeunes artistes contribuent à populariser le style avec comme recette infaillible des pas de danse électriques et des paroles crues. Autre tendance dessinée par la nouvelle garde : le bikutsi, rythme traditionnel du Sud et du Centre du Cameroun chanté généralement en beti, en ewondo ou en eton (des langues très proches parlées dans le centre et le Sud du pays) s’ouvre désormais à des artistes d’horizons divers. A côté de la jeune Mani Bella qui chante Kongossa dans la tradition beti, Letis Diva compose par exemple en bamiliéké et français.

La nouvelle scène du bikutsi, si elle électrise les foules ne fait évidemment pas que des adeptes. Ses artistes sont souvent taxées de délurées et essuient de nombreuses critiques. Nombre d’amateurs de bikutsi estiment aussi que le genre s’est appauvri avec les années. Jean-Marie Ahanda, leader et trompetiste du mythique groupe Les Têtes Brûlées qui a révolutionné le genre dans les années 1980 en y introduisant la guitare électrique à la place du balafon traditionnel apprécie sans concession et avec une pointe d’amusement le bikutsi de la décennie écoulée : "En beti, on peut dire beaucoup plus de choses. A l’origine, notre culture n’avait pas de censure morale sur les questions intimes. (…) Ces filles ont une très forte culture du village. On a retribalisé en quelque sorte le bikutsi. C’est une revanche, une victoire de la culture populaire sur les règles académiques du solfège".

René Ayina, fondateur du Festi Bikutsi qui récompense chaque année les meilleurs artistes du genre entend pour sa part encourager les artistes "politiquement corrects" : "Les jeunes artistes proposent des textes moins liés au sexe que par le passé. (…) Mais il est vrai que l’aspect festif est favorisé, histoire de faire oublier les problèmes du quotidien". Les puristes peuvent toutefois toujours se consoler en écoutant les groupes de Mendzang (balafon en beti) qui se produisent toujours en live dans de nombreux cabarets de la capitale.