Saint-Louis du Sénégal, La Nouvelle-Orléans, deux villes en miroir

Larry Garner & Demma Dia
Concert à Saint-Louis du Sénégal juin 2012 © V.Nivelon

Saint-Louis du Sénégal, La Nouvelle-Orléans : deux villes en miroir. Ce colloque organisé par L’EHESS (France), l’Université Cheikh Anta Diop (Sénégal) et Tulane University (USA) avec RFI, rassemblait pour la première fois, une trentaine d’historiens et anthropologues à Saint-Louis du Sénégal du 4 au 7 juin dernier. La musique constituant une dimension essentielle de la culture des deux villes et un vecteur privilégié de leur influence culturelle mutuelle, réelle ou imaginaire, des musiciens sénégalais et louisianais ont apporté leur contribution à cet évènement.

Les villes, il faut savoir les regarder mais il faut aussi savoir les écouter. Le colloque organisé à Saint-Louis du 4 au 7 juin dernier à l’Université Gaston-Berger a convié de nombreux chercheurs mais aussi des musiciens qui le temps d'un concert de clôture, auront démontrés les liens musicaux qui unissent les deux villes portuaires. Etaient donc présents deux joueurs de xalam traditionnel, Demma Dia et Yéro Dia (ainsi qu'un de leur frère, guitariste) originaires de Njum Waalo, dans le delta intérieur du Sénégal, ainsi que Vieux Mac Faye, guitariste de jazz sénégalais, avec son groupe de sept musiciens, et Larry Garner, guitariste de blues louisianais.

Lors des échanges entre chercheurs et musiciens, Vieux Mac Faye reconnaissait aisément l'influence du blues et en particulier celui du delta du Mississipi sur son parcours musical : "Nous musiciens, avons eu à subir des influences extérieures, française, cubaine. Nous avons joué ces styles musicaux. J'ai fait aussi du blues, j'en fais presque aujourd'hui mon métier : je suis un "african bluesman". Mais pour moi, le blues est une notion empruntée. C'est une notion qui vient du cœur. Si aujourd'hui, je peux me faire comprendre de Larry (Garner, ndlr) et si Larry peut m'entendre, c'est parce que je crois que ce sont les cœurs qui ont parlé. Les instruments n'ont été que les bras de ces cœurs. On ne peut donner une étiquette universelle au blues. Chacun joue son propre blues. Il y a certaines notes sur lesquelles tout le monde est d'accord. Pour d'autres notes, chacun appose sa propre identité."

S'il ne joue pas de blues à proprement parler, Demma Dia, joueur de xalam (ou de hodou selon la terminologie pular), accompagnateur de Baaba Maal dans ses tournées internationales rend compte de la proximité de sa musique avec celle du delta du Mississipi : "Le blues et la musique que je joue, c'est comme deux frères de même père et de même mère. Chaque fois que la musique traditionnelle et le blues se rencontrent, il n'y a jamais conflit. Tout est cohésion. Le blues est un langage universel tout comme la musique que je joue. Quelle que soit la diversité des langues, des religions, des goûts, Dieu nous a donné la capacité de nous entendre par notre sensibilité et de pouvoir apprécier les choses ensemble même si nous ne nous comprenons pas d'un point de vue linguistique. C'est la raison pour laquelle nous avons envie de répondre présent chaque fois qu'il est question d'aller à une rencontre musicale, de surcroit quand il est question du blues."

Allers-retours

De ces allers-retours entre les deux continents, la musique s'est enrichie. C'est ce que déclare Ibrahima Seck de l'Université Cheikh Anta Diop : "Ce qui est extraordinaire, c'est que la musique a voyagé, s'est transformée. Mais elle est revenue en Afrique comme un boomerang et les Africains ont continué à la reconnaitre et à l'adopter. Ce qui fait qu'au Sénégal, il y a de nombreux orchestres qui jouent le blues même si aujourd'hui, les jeunes se tournent plus vers le rap ou le hip hop".

Cécile Vidal de l'Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales fait part de l'importance d'inviter des musiciens dans un colloque comme celui-ci : "Les musiciens ont toute leur place dans un colloque de chercheurs. Nous étudions dans l'histoire, dans le temps, les influences, les circulations, les ruptures, et les phénomènes de divergence dans le développement des musiques. Mais au delà de la possibilité de tracer ou non des influences, ce qui est peut être plus important, c'est la volonté des musiciens à différentes époques depuis le 19e siècle et dans des contextes sociaux-politiques très différents, de revendiquer en Amérique des origines africaines et inversement, pour les musiciens africains d'avoir ce regard vers la musique américaine et en particulier, vers la musique africaine américaine et de se l'approprier pour en faire une musique africaine. (…) Les musiciens vivent eux-mêmes cette relation entre Afrique et Amérique."

La musique constitue une dimension essentielle de la culture de Saint-Louis du Sénégal et de la Nouvelle-Orléans et un vecteur privilégié de leur influence culturelle mutuelle, réelle ou imaginaire. Emily Clark, chercheuse à la Tulane University, laisse parler ses sensations, ses émotions, et donne un éclairage particulier aux attaches entre les deux villes : "Hier soir, ici à Saint-Louis, j'ai entendu de la musique qui aurait pu être jouée à la Nouvelle-Orléans. Si je fermais les yeux, écoutant le xalam, j'aurais pu entendre le banjo joué en Louisiane. Et c'est la même chose avec le blues que nous ont offert les musiciens sénégalais. C’est donc quelque chose de très évanescent ! Quelqu’un a dit au cours du colloque que la musique est la part de la culture qui est la plus fluide, celle qui a le plus de facilité à circuler, d’un lieu à un autre et je pense que c'est vrai. Cela vient d'une pulsion humaine fondamentale, mais c’est également détectable dans les traditions musicales de chacune des deux villes, en écho l’une de l’autre. Il est certain que la musique circule entre les deux lieux, et c’est par la musique que nous sommes le plus connectés. La grande différence, et cela m’a surpris ici à Saint-Louis, c'est qu'à la Nouvelle-Orléans, comme nous le verrons l’année prochaine, la musique est dans la rue partout, chaque jour, Il y a des enfants dans la rue, jouant pour un peu d'argent, il y a des chanteurs interprétant du blues. Le son de la vieille ville de la Nouvelle Orléans est le son de la musique, pas uniquement le jazz, mais toutes les musiques, et aussi la danse. Et je m'attendais à voir la même chose au Sénégal et c'est une grande surprise pour moi, que ce ne soit pas le cas. C'est une des choses les plus intéressantes : quand je ferme les yeux, c'est la même chose, quand je les ouvre, c'est différent."

Une histoire complexe et difficile

Si l'on veut faire une histoire comparée de Saint-Louis du Sénégal et de la Nouvelle-Orléans, il faut s'intéresser aux sons des deux villes, aux bruits, aux musiques que cette histoire a générés. Emily Clark souligne cette dimension-là : "La musique a une longue histoire à la Nouvelle-Orléans. Il y avait un lieu nommé Congo Square qui était un endroit de performance dans lequel les Africains réduits à l'esclavage jouaient leur musique, et ils dansaient quand ils avaient du temps libre. Mais finalement au fil du temps les descendants des Africains à la Nouvelle-Orléans ont appris la musique européenne. Ils en sont devenus de grands interprètes. Et ils ont créé avec elle une nouvelle musique, une musique hybride. Mêlant des instruments européens, ainsi que des notions musicales européennes et c’est ainsi que le jazz est né. Et c'est une expression américaine unique."

On ne peut sous-estimer la dimension politique de cette musique. Faire de la musique, c'est aussi contester. C'est trouver un espace d'expression qu'on s'autorise parce qu'on n'autorise rien à un esclave. Emily Clark poursuit : "Une des choses les plus intéressantes qui arriva pendant le mouvement des droits civiques dans les années 60 aux Etats-Unis, c’est que des musiciens noirs sont allés rechercher en profondeur et ont revendiqué leur héritage africain. Ils l'ont réintroduit dans leur pratique musicale contemporaine. Et donc, ça a été un tournant très important dans la musique jouée à la Nouvelle-Orléans. Il y eut des musiciens, en particulier la famille Batiste qui se sont vraiment spécialisés dans l’introduction de formes musicales africaines, d'instruments africains dans leurs arrangements musicaux, et çà, c'est vraiment une déclaration politique. C'est comme s'ils disaient : "oui je peux jouer", comme l’a dit Wynton Marsalis le fameux trompettiste, "oui je peux jouer Mozart ou Haendel" mais ce qui est vraiment important, et ce que Marsalis dit, ce qui est vraiment important, c'est la vraie musique "nègre" ("negro music"), au sens de la négritude. C'est donc vraiment une affirmation politique. Cela peut parfois troubler les gens car ils pensent que la présence de la musique africaine et d'éléments africains dans le jazz et la musique de la Nouvelle-Orléans, c'est la survivance de la musique africaine, mais ce n’est pas le cas .C’est la réappropriation et la réinsertion de la musique africaine."

Pour son premier opus, le colloque d'histoire comparée entre Saint-Louis et la Nouvelle-Orléans a montré comment le jazz est né de la circulation des hommes et de leur culture entre les deux rives de l'Atlantique. Un laboratoire musical né de la rencontre forcée, mais aussi du métissage, et de la réinterprétation des influences mutuelles. Cette histoire comparée nous ramène aux origines de ce qu'on appelle si communément les musiques du monde. Rendez-vous l’an prochain à la Nouvelle-Orléans pour découvrir comment la musique nous raconte à sa façon une réalité américaine, où la ségrégation, fille de l’esclavage, a profondément ancré le racisme dans la société…bien loin de la "teranga" ("hospitalité") sénégalaise.

La seconde partie du colloque aura lieu du 23 au 25 Avril 2013 à Tulane University à La Nouvelle Orléans (Louisiane/Etats-Unis)
A écouter sur RFI : La Marche du Monde enregistrée à St Louis du Sénégal
Saint-Louis/La nouvelle orléans : deux villes en miroir
Samedi 23 juin à 13h10 en T.U sur l’antenne Afrique et dimanche 24 juin à 9h10 et 15h10 heure de Paris sur l’antenne Monde.

Par Valérie Nivelon et Valérie Passelègue avec la collaboration de Cécile Pompéani