Brigitte Fontaine, comme un nouvel album
Partie pour sacrifier à l’exercice classique de l’album de duos, l’extravagante Brigitte Fontaine sort L’un n’empêche pas l’autre, un disque audacieux et riche, avec notamment Matthieu Chédid, Christophe, Arno, Jacques Higelin ou Alain Souchon…
Après le coup de poing à l’estomac de l’album Prohibition, c’est peu dire que Brigitte Fontaine était attendue au tournant avec son nouvel album. Pour capitaliser sur la ferveur critique et publique qui comble la chanteuse ces dernières années, sa maison de disques a eu la sagesse de ne pas lui faire presser le pas et de lui proposer un disque de duos. Double avantage : elle ne déserte pas le terrain, elle a du temps pour écrire un nouveau disque de chansons nouvelles…
Mais Brigitte Fontaine n’a jamais rien fait comme les autres et ce retour sur son passé est finalement devenu son dix-septième album studio. L’un n’empêche pas l’autre est son titre et c’est aussi, d’une certaine manière, son pitch : un best of en belle compagnie peut se muer en un album neuf et exigeant.
D’abord, elle n’a pas choisi de réinterpréter ses chansons les plus célèbres, préférant explorer des chansons peu connues plutôt que Le Nougat ou Conne. Ainsi est-ce un délice de redécouvrir Le Pipeau avec la guitare et la voix de Matthieu Chédid. Et on assiste au croisement de deux chamans quand Brigitte Fontaine et Christophe s’aventurent ensemble dans les altitudes de Hollywood.
Certaines rencontres sont évidentes comme avec Arno (parfait deux fois) ou avec Bertrand Cantat (en pilotage automatique) mais certains invités sont un peu gauches, comme Alain Souchon, pas tout à fait à son aise dans l’atmosphère de tango fantasmagorique que les nouveaux arrangements donnent à Rue Saint-Louis-en-L’Île. Et il n’est pas impossible que l’aspect chic de certaines invitations ne nuise à la pertinence musicale de l’ensemble, comme Grace Jones dans Caravane, adaptation du grand classique de Duke Ellington, ou Emmanuelle Seigner dans le fouillis joyeux de Dressing.
Heureusement, Brigitte Fontaine ne peut se retenir de faire entendre de nouvelles chansons, comme un étonnant et jubilatoire Gilles de la Tourette en solo ou des retrouvailles (plus de quarante-cinq ans après leurs débuts communs) avec Jacques Higelin sur Duel. Et l’amoureuse de la langue française s’amuse avec l’anglais dans God’s Nightmare avant une conclusion de l’album sur son duo le plus naturel, avec son compagnon Areski sur Grand-père – un texte a cappella d’une candeur attendrissante puis franchement horrifique.
Contrairement à ce qui survient dans la plupart des albums de duos de ces dernières années, on ne prend jamais Brigitte Fontaine en flagrant délit d’intention marketing ou de cynisme commercial. Au contraire, cette (re)traversée de son œuvre et ses nouvelles chansons finissent par être d’égales surprises, comme si elle était toujours animée de la même tension créatrice.
D’ailleurs, la poétesse Brigitte Fontaine est aussi aux vitrines des libraires, cette saison : elle sort trois petits livres aux éditions des Belles Lettres, Rien – suivi de Colère noire, Antonio et Le Bal des coquettes sales (ce dernier avec Leila Derradji), ainsi qu’un recueil de ses textes de chansons, Mot pour mot. Et Benoit Mouchard sort une version actualisée et augmentée de sa biographie Brigitte Fontaine intérieur/extérieur.
Brigitte Fontaine L’un n’empêche pas l’autre (Polydor-Universal) 2011
Brigitte Fontaine Rien – suivi de Colère noire (éd. des Belles Lettres)
Brigitte Fontaine Antonio (éd. des Belles Lettres)
Brigitte Fontaine et Leila Derradji Le Bal des coquettes sales (éd. des Belles Lettres)
Brigitte Fontaine Mot pour mot (éd. des Belles Lettres)
Benoit Mouchard Brigitte Fontaine intérieur/extérieur (Le Castor Astral)
Par : Bertrand Dicale