Près de trois mois après la disparition de Daniel Darc, le 28 février dernier, un livre d’entretiens avec son ami et journaliste Bertrand Dicale, également collaborateur régulier de notre site, vient de paraître aux éditions Fayard. Dans Tout est permis mais tout n’est pas utile, le chanteur se confie sur sa famille, Taxi Girl, la drogue et, surtout, son chemin vers la foi et le bonheur touché du doigt au terme de sa vie. Les explications de son auteur.
RFI Musique : Vous étiez un proche de Daniel Darc. Comment cette amitié a-t-elle débouché sur un livre d’entretiens ? Bertrand Dicale : J’ai rencontré Daniel pour la première fois lors de la tournée de Crève Cœur. À l’époque, j’en savais beaucoup sur lui, et une partie de son histoire faisait directement écho à la mienne : il était comme moi, protestant réformé. Dès la première interview, une complicité s’est installée, très évidente. Ce qui m’intéressait chez lui n’intéressait pas les autres journalistes. La mythologie rock'n'roll, les overdoses ne m’ont jamais fasciné. Moi, c’était ce qu’il y avait après, la lumière et un certain bonheur que je sentais chez lui. C’est la raison pour laquelle il a accepté cette autobiographie.
Quand la série d’entretiens a-t-elle commencé ? À la rentrée 2011. C’est à cette époque que l’on a réellement décidé de travailler ensemble. Il y a eu une trentaine d’entretiens, pour une dizaine d’heures de bandes. Un processus très long, car Daniel avait une conversation étrange, très labyrinthique. Il lui fallait beaucoup de détours, d’embranchements avant d’aborder un sujet précis de sa vie. Parfois, on restait deux heures au café et rien ne sortait. D’autres fois, c’était un torrent vertigineux ! Il souhaitait réellement s’impliquer dans ce livre, réécrire les entretiens que j’avais mis en forme, en faire une œuvre littéraire. Il n’en a malheureusement pas eu le temps. C’est une œuvre inachevée.
Plus que la musique, les questions spirituelles occupent une place centrale dans ce livre…
C’était une volonté commune. Il fallait lever le voile sur cet aspect presque totalement ignoré de sa vie. Même s’il l’évoquait en interview, les journalistes ne gardaient le plus souvent que ses propos sur la drogue. C’était l’une de ses colères. Comme il le disait lui-même, les critiques rock français ne sont pas très sensibles aux questions de foi. En France, il y a cette idée que le rock'n'roll est contre la religion. Aux États-Unis, c’est l’inverse, la culture du chant est liée à la foi. À l’enterrement de Daniel, ses proches avaient choisi des titres de Johnny Cash, l’un de ses modèles. Et beaucoup de gens présents ont réalisé que ses chansons ne parlaient que de religion.
Loin de son image habituelle, on découvre un homme passionné d’arts martiaux, fasciné par la discipline du corps et de l’esprit…
Daniel avait la tentation de l’ascèse. L’engagement total et absolu le fascinait. Il faisait partie de cette première génération suffisamment abreuvée de livres, de disques, de produits pour tout expérimenter, en même temps : musique, karaté, drogues. Peut-être pour cette raison a-t-il toujours eu envie d’un chemin univoque. Il a eu le fantasme du rabbin ou du pasteur passant sa vie à étudier. Depuis l’époque de Taxi Girl jusqu’à sa mort, ses livres ne le quittaient jamais en tournée, même backstage ! Il n’a jamais eu l’esprit au repos.
Quant à sa passion pour le karaté, elle l’a littéralement sauvé. Ses années junkie l’avaient fragilisé, il tanguait d’un pas sur l’autre, mais quand on lui serrait la main, on sentait sa force. Il était d’une résistance démentielle.
Avec le recul, quelle place occupe selon vous Daniel Darc dans l’histoire du rock français ?
Daniel raconte un peu la même chose que Johnny Cash aux Américains. On doit être totalement dans la nuit, et totalement dans la lumière. Je ne sais pas s’il continuera de vendre des disques dans le futur, si Crève Cœur sera toujours un album de référence. Mais on conservera la trace d’un artiste qui a prouvé que l’on pouvait aller jusqu’au bout du rock, et jusqu’à l’autre bout en même temps. Il y a tellement de chanteurs dont il reste des chansons sans que l’on se souvienne de la personne. Lui, laisse à la fois une œuvre et une vie, et en cela, il est comparable à Johnny Cash ou Édith Piaf. Le plus profond de la nuit, le plus près de la lumière.
Entretiens avec Bertrand Dicale Daniel Darc, Tout est permis mais tout n’est pas utile (Fayard) 2013 Site officiel de la maison de disque de Daniel Darc