La chanson du Tour de France

La chanson du Tour de France
Bernard Hinault en 1980 © Staff AFP

Le départ du 100e Tour de France invite à revenir sur l’étonnant patrimoine des chansons célébrant la grande course et les cyclistes. Avec de fortes évolutions, tout comme dans les invitations lancées par le Tour, aux chanteurs.

À partir de samedi prochain, la France plonge tout entière dans le bonheur rétrospectif : puisque commence le 100e Tour de France, le pays tout entier se remémore d’une épopée qui n’est pas seulement celle des cyclistes, mais aussi la sienne. Et quel meilleur thermomètre de la popularité d’un événement que la trace qu’il laisse dans la culture populaire ?

Et, depuis bien longtemps, la chanson est amoureuse du Tour de France. Pas toute la chanson, bien sûr. Point de maillot jaune chez Georges Brassens, Barbara ou Serge Gainsbourg. Mais le Tour a été chanté abondamment et il reste au moins une grosse centaine de chansons qui le célèbrent.
 
Le Tour lui-même y est pour beaucoup : dès que l’industrie du disque décolle en France, à l’aube des années 30, l’organisation choisit quelle sera la marche officielle du Tour de l’année. À cette marche, on adjoint parfois un fox-trot, une valse… Les modalités de choix changent presque tous les ans mais la liste impressionne : La Môme Biclo en 1931, P’tit gars du Tour en 1932, C’est un tour et Le Tour qui passe en 1933, Et vas-y Théophile en 1934, Ah les voilà en 1936, La Fleur au guidon et À qui le Tour ? en 1937, Tout en pédalant en 1938, Les Chevaliers de la route en 1939…
 
La plupart sont des tubes, tant on les joue et rejoue chaque soir dans les villes d’étape, tant les répètent jusqu’à la nausée, les sonos de la caravane publicitaire qui roule au pas tout le long du parcours.
 
Certaines de ces chansons se gravent dans la mémoire populaire et, quelques générations plus tard, on chante encore aux enfants qui apprennent à faire du vélo : "Eh vas-y / Eh vas-y Théophile / Baisse la tête et mets l’nez su’l’guidon / Serre les dents, démarre et pousse et file / T’en fais pas pour la bûche et aïe donc / Eh vas-y / Eh vas-y Théophile / Baisse la tête et tortille le croupion / Roule la caisse et comme un zèbre file / Et vas-y fais voir qu’t’es un champion".
 
Ces chansons officielles sont parfois assez étonnantes, comme Tu tournes pas rond, choisie pour accompagner le redémarrage du Tour de France en 1947, et qui chambre gentiment les coureurs attardés : "Faut prendre du fortifiant / Pour remonter l’courant / Ou bien faire mon p’tit pote / Des championnats de belote / Tu tournes pas rond / T’as perdu les pédales".
 
Le Tour pour le "titi, l'arpète, le mécano"
 
La chanson témoigne de l’engouement des Français pour la plus belle épreuve de l’année cycliste, mais aussi de ce qu’elle signifie. Car le vélo est un sport qui, longtemps, reste potentiellement ouvert à tous et à chacun, pour peu qu’il soit déterminé, endurant et bon travailleur. Contrairement à la boxe et au football qui, selon l’imaginaire populaire, exigent talent ou dispositions physiques exceptionnelles, le cyclisme apparait volontiers comme le sport des ouvriers durs au labeur, comme le chantent les Sœurs Étienne en 1950 : "Faire le Tour de France / La seule espérance / Du titi, de l’arpète et du mécano".
 
Dès les années 30, le Tour de France exerce un contrôle plus ou moins direct sur tous les à-côtés de la course, et notamment les bals et podiums qui ont lieu chaque soir dans les villes étapes. Après-guerre, on passe de l’artisanat du show-business à un début d’industrie. Des artistes sont invités à suivre le Tour, chantent chaque soir… et leurs disques se vendent par caisses.
 
Dès la reprise de la grande boucle, en 1947, c’est la "reine du musette" Jeanne Chacun qui anime les bals de sa voix nasale et gouailleuse. Mais jamais le Tour ne s’offre les plus grandes stars, se contentant d’honnêtes chanteurs populaires surtout sélectionnés pour leur capacité à aligner trois semaines de concerts tardifs et de longs (et lents !) trajets avec la caravane publicitaire.
 
Mais, avant que ne disparaisse l’institution de l’"artiste officiel du Tour de France", il y aura eu quand même quelques choix réjouissants comme, en 1977, la venue des Grammacks, groupe de l’île anglaise de la Dominique, entre la Guadeloupe et la Martinique, dont la cadence-lypso annonce l’arrivée du zouk, quelques années plus tard.
 
La grande vedette, c'est Yvette !
 
Il reste que la plus grande vedette à avoir emprunté les routes du Tour n’est pas chanteuse mais accordéoniste. En 1952, les appareils électroménagers Calor choisissent Yvette Horner, qui vient d’être sacrée championne du monde d’accordéon (eh oui !), pour jouer tous les soirs d’étape sur le grand podium.

L’année suivante, une marque d’apéritif embauche la jeune femme pour jouer dans la caravane publicitaire, juchée sur le toit d’une voiture – un exercice qu’elle accomplira pendant des milliers de kilomètres pendant onze éditions du Tour de France !

Jusqu’en 1962, Yvette Horner sur le Tour une popularité immense, puisque des millions de Français la voient et l’entendent, avec son grand chapeau pour se protéger du soleil et son accordéon étincelant. Cette image finira par éclipser dans notre mémoire collective tous les autres artistes qui ont fait la route avec le Tour de France.

 
Pendant ce temps, la progressive starisation des cyclistes professionnels amène à les chanter beaucoup plus souvent que précédemment, puisqu’il n’y avait guère qu’Antonin Magne, champion du monde sur route en 1936 qui y avait eu droit avant l’âge des étapes télévisées.

Suivront Vive Poulidor par André Verchuren en 1972, Allez Hinault, C’est l’blaireau, Blaireau reggae (Gérard Courtois) ou L’équipe à Guimard, l’équipe d’Hinault entre 1980 et 1985. Mais l’évolution du Tour de France apporte peu à peu la chanson à pratiquer plus volontiers le second degré : Monsieur Martino et les Wampas chantent Laurent Jalabert en 1997 et 1998, dans deux chansons qui jouent d’une emphase bouffonne pour dire leur admiration d’un coureur français qui ne gagnera jamais le Tour.

 
Et, d’ailleurs, les règnes de Miguel Indurain et de Lance Armstrong ne susciteront guère de chansons, sauf le Walking Indurain de Fred Poulet, qui doit plus à un jeu de mot anglo-espagnol qu’à la popularité du champion espagnol. Au point même que la chanson s’affranchit de l’actualité cycliste et aborde le mythe. Joachim Agostinho, coureur portugais aimé des Français meurt en course en 1984 : Dick Annegarn en 1990 et Romain Didier en 1992 lui consacreront des chansons.
 
 
Mieux encore avec Federico Bahamontes, l’"Aigle de Tolède" qui a été vainqueur du Tour de France 1959 et six fois vainqueur du grand prix de la montagne. Certains historiens du Tour disent qu’il fut le plus grand grimpeur de l’histoire. Et c’est seulement en 2011 que Jean-Louis Murat lui consacre une chanson magnifique, Le Champion espagnol. On est loin de la célébration en direct d’un peloton de héros du petit peuple.
 
Retrouvez Ces chansons qui font le Tour, la chronique quotidienne de Bertrand Dicale sur cette thématique du 29 juin au 21 juillet sur France Info.