Tadoussac, un exaltant trésor caché
Du 12 au 15 juin, Tadoussac, village québécois de 830 âmes, s'est démultiplié pour célébrer la chanson francophone. La 31e édition du Festival de la chanson, qui a notamment accueilli Pierre Lapointe, Robert Charlebois ou Klô Pelgag, a été riche en jolies surprises et confirmations brillantes. Une habitude à Tadoussac !
La pluie tombe sans relâche. Mais elle n'altère en rien les velléités des spectateurs, miracle d'un festival à l'humanité débordante, à l'organisation exemplaire et où le désir est constamment au beau fixe. Dans un cadre idyllique, avec le souffle des baleines envahissant le fleuve Saint-Laurent, il est principalement axé sur la découverte.
Impossible de ne pas chérir l'événement. Tous ceux qui ont un jour mis un pied à Tadoussac, qui ont goûté à la douceur de ses humeurs, à l'intelligence de sa programmation fouineuse, amoureuse et ouverte à tous les vents, en font leur chouchou pour l'éternité.
Bien sûr, les têtes d'affiche se frayent également un chemin. En ouverture, Pierre Lapointe. Première date d'une nouvelle tournée, seul au piano. Il renouvelle l'état de grâce, atteignant des moments d'intensité intimistes. Entre mélancolie abyssale, puissance mélodique et grand frisson, le garçon scotche l'assistance, convoque tourments rudes, combats intérieurs et désirs inassouvis. Il glisse sur des intermèdes savoureusement caustiques, et étire l'espace-temps avec les foudroyants Tel un seul homme et Je déteste ma vie. Il y a chez lui une tristesse réparatrice, une manière de débrancher les inhibitions pour laisser son magnétisme piloter des morceaux frémissants et vibrants.
Attendu tel le messie, Robert Charlebois est dans l'inconscient collectif, indémodable et populaire. Celui qui a révolutionné la chanson francophone fête ses cinquante ans de carrière. Une longévité exemplaire. L'homme à la chevelure frisée ne court pas derrière les modes, mais affiche une vitalité insolente à 69 printemps.
Entrée en matière musclée et déroutante. Les arrangements rentre-dedans ou psychédéliques se taillent la part du lion. Fin de parcours fédératrice avec un tunnel de tubes (Je t'aime comme un fou, Lindberg, Je reviendrai à Montréal, Ordinaire). Les festivaliers exultent, se déhanchent. Ils réveilleraient presque les morts. Difficile par contre d'en dire autant de la lunatique Marie-Jo Thério dont le tour de chant au piano s'est révélé foutraque et sans saveur.
Le temps d'un spectacle, elles s'unissent. Qui ? Les sœurs Boulay et les Hay Babies. Des rythmes béats, une science des harmonies vocales, un même goût pour une country-folk dépouillée. C'est délicieux et cela fait chaud au cœur et aux corps. Une divine idée à coup sûr. Comme celle de retrouver l'étincelante Klô Pelgag qui n'en finit pas de nous renverser. Subtilement décomplexée et déjantée, créative à souhait, elle distille des chansons aux nuances infinies et qui jouent à saute-mouton. Une grosse claque.
Précédée d'une rumeur avantageuse, la démente jeune israélienne Liov Shoov – qui vit en France depuis trois ans – s'est fait un nom. Trop en dévoiler gâcherait l'effet de surprise. Seulement dira-t-on qu'elle développe un univers enfantin à base d'objets improbables (tubes en plastiques, genoux percussifs, jouets...), qu'elle est d'une expressivité affolante et que sa reprise jubilatoire de Marie Laforêt (Mon amour, mon ami) tape dans le mille. Nul doute qu'elle va faire sérieusement parler d'elle.
A l'auberge de jeunesse, à quelques encablures des scènes principales, une ambiance plus roots et festive. Au rythme du reggae percutant de Danakil ou des assauts électro de Qualité Motel, les chairs se mettent à remuer dans tous les sens et à sauter comme des kangourous. Doit-on encore le répéter ? Tadoussac pour l'éternité...
3 Questions à Robert Charlebois
RFI Musique : Après 50 ans de carrière, l'envie d'en découdre sur scène est-elle toujours jouissive ?
Robert Charlebois : Il y a toujours cet amour de la musique, cet amour de l'orchestre. J'adore donner le tempo. Les musiciens qui m'accompagnent sont très jeunes et le mélange des générations, ça te booste. Ce show est super rock. Il y a aussi dedans une dualité trad-funky que je ne peux pas amener en France. J'ai l'impression que vous préférez écouter ça chez les Anglais. Chez vous, je suis tout le temps au piano ou à la guitare. La comparaison va s'arrêter là, mais c'est un peu comme Johnny Hallyday. Quand il vient ici, il n'y a pas de décor ou d'accessoires, juste lui et ses musiciens. De cette façon-là, j'ai deux spectacles différents qui tournent et je ne m'ennuie jamais.
Vous pouvez aussi bien jouer à Montréal devant 100.000 personnes qu'ici dans une salle plus confidentielle. C'est l'humilité, ça ?
Je n'ai jamais eu trop d'ego. C'est beaucoup plus difficile de chanter dans des petites salles que dans des grandes. Le plus extrême, c'est quand je vais dîner chez des amis et qu'ils me demandent de jouer des chansons. Cela me rappelle mes débuts quand j'avais 15 ans. Je chantais devant mes camarades de classe qui étaient mes premiers cobayes. Quand ils me demandaient de rechanter le lendemain, ils me faisaient comprendre ce dont ils avaient envie. Comme le public aujourd'hui finalement qui se manifeste pour une chanson plutôt qu'une autre.
Auriez-vous pu imaginer un tel parcours ?
Personne ne peut penser ça, même Aznavour. Après, je ne sais pas si je vais aller comme lui jusqu'à là (rires). J'ai commencé comme étant le pianiste d'un humoriste, Jean-Guy Moreau. C'est le premier gars dans le monde qui a fait un show d'imitation complet sur scène. Pendant qu'il se changeait et se grimait en Brassens, il me demandait de faire une chanson. Les gens regardaient leur montre parce que ce dont ils avaient envie, c'était de rire.
Site officiel du Festival de la chanson de Tadoussac
Site officiel de Pierre Lapointe
Site officiel de Klô Pelgag
Site officiel de Danakil
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