Luis Mariano, un classique depuis toujours
On célèbre cet été les cent ans de la naissance du plus grand ténor de l’opérette à la française, Luis Mariano. Mais, de son vivant, il défiait déjà le temps et la chronologie de l’histoire de la musique.
Le centenaire de la naissance de Luis Mariano ? C’est peut-être plus un paradoxe spatiotemporel qu’un anniversaire. Car presque toute sa carrière a été accablée de plaisanteries sur le fait que sa musique était ancienne, dépassée, percluse de vieilleries. Né le 13 août 1914, il était un peu plus âgé que Léo Ferré (né lui en 1916), anarchiste de la chanson, idole des jeunes révoltés d’après Mai 68 et aventurier d’une poésie rock, avant de retourner sens dessus dessous la musique symphonique. Pendant tout ce temps-là, Mariano se tenait loin de toute expression politique, trônait au sommet d’un genre ancien, ne semblait pas s’émouvoir de ce que son public vieillit déjà à l’aube des années 60…
Mais que l’on célèbre Luis Mariano cet été est peut-être la preuve que la raideur des snobismes ne triomphe pas toujours face aux élans du public. Après avoir pesté jadis, les arbitres du bon goût ont fini par rendre les armes devant les grands airs de Mariano, ses couplets passés à la feuille d’or et ses refrains aux couleurs éclatantes. Aucun ténor populaire, de Roberto Alagna à Rolando Villazón, ne peut échapper à l’exercice presque filial de l’hommage à Luis Mariano, tandis que, de Florent Pagny à Nolwenn Leroy, maints artistes de la chanson aiment fréquenter son héritage.
Évidemment, quand on parle de Mariano, il y a des tubes d’une puissance historique. Chaque Français sait chanter "La belle de Cadix a des yeux de velours/La belle de Cadix vous invite à l'amour" et peine à résister à l’ivresse de "Mexico, Mexi-iiiiiico sous ton soleil qui chante-iiii/Le temps parait trop court pour goûter au bonheur de chaque jour/ Mexico, Mexi-iiiiiico tes femmes sont ardentes-ii/Et tu seras toujours le paradis des cœurs et de l'amour". Et évidemment, encore, "La vie est là/Qui vous prend par le bras/Oh la la la/C'est magnifique !/Des jours tout bleus/Des baisers lumineux//Muic muic muic muic (ce sont quatre baisers !)/C’est magnifique !/Donner son cœur/Avec un bouquet de fleurs/Oh la la la/Mais c'est magnifique !"
Une icône, un prodige
Un mythe de cette dimension porte toujours quelque chose de plus vaste que la seule accumulation des succès, des photos reproduites dans des milliers de publications chaque année sur papier ou sur le net. Luis Mariano pour l’opérette, comme Carlos Gardel pour le tango ou Elvis Presley pour le rock’n’roll, c’est beaucoup mieux qu’une star : une icône, un maître, un prodige, un saint. On finit par ne plus croire en sa vie, on ne croit qu’en ses œuvres, qu’en cette radieuse trace de lumière laissée dans la mémoire collective.
Fils d’un mécanicien, Luis Mariano Eusebio Gonzalez est né à Irún, en Espagne, cet été 1914 qui voit l’Europe basculer dans la tragédie. Mais son pays natal n’est pas impliqué. Le jeune homme connaitra la scène et les tournées avec des chœurs traditionnels basques avant d’émigrer avec la guerre civile espagnole, vers Bordeaux – ou, plutôt, vers le Conservatoire de Bordeaux. En 1942, il "monte" à Paris, travaille le bel canto, rêve d’opéra comique, court la cacheton dans des spectacles de variétés…
Son premier grand rôle lui est proposé par un jeune compositeur, Francis Lopez, et un jeune librettiste, Raymond Vincy. Aucun n’imagine qu’ils vont écrire l’histoire en s’aventurant dans un genre populaire depuis des décennies, l’opérette. Alors que la jeunesse française s’étourdit de jazz américain et de chanson swing française, la première de La Belle de Cadix a lieu le 24 décembre 1945 au Casino Montparnasse. Elle va rester deux ans à l’affiche !
Inconnu avant cette création, Mariano devient en un seul ouvrage le prince, le roi, l’empereur de l’opérette. Peu importe que, pour les musicologues, cette période soit considérée comme la fin d’un genre né un siècle plus tôt. Dans Andalousie (1948), Le Chanteur de Mexico (1951), Chevalier du ciel (1955), La Cancion del Amor Mio (1958), Le Secret de Marco Polo (1959), Visa pour l'amour (1962), Le Prince de Madrid (1967), il triomphe toujours et partout.
Il redonne lustre et gloire à un genre qu’il porte à son sommet de popularité. Les autres vedettes du genre (comme Bourvil et Annie Cordy…) n’ont jamais autant de gloire que lorsqu’ils lui sont associés. Entre ses créations, il tourne dans une vingtaine de films, dont une majorité d’opérettes filmées dont Violettes impériales (avec le fameux L'amour est un bouquet de violettes), il parcourt le monde dans de longues tournées, multiplie les shows à la radio puis à la télévision, installe dans la mémoire populaire des chansons qui transcendent toute frontière de genre et de style (Maman la plus belle du monde…).
Malgré les nouveaux genres à la mode, malgré le déferlement de la pop et du rock, il continue de remplir les salles quand, en mai 1970, il doit interrompre les représentations de La Caravelle d'Or. Il s’éteint au soleil du 14 juillet, peu avant ses cinquante-six ans. Mais il est déjà entré dans la légende depuis longtemps…