C’était en 2008 – une dame nommée Danielle Bonel frappe à la porte de la Bibliothèque nationale de France (BnF). Dernière secrétaire d’Édith Piaf, épouse de son accordéoniste, celle qui fut aussi son attachée de presse, et sa confidente, dépose au Département des Arts du Spectacle*, ce "formidable grenier, propre et bien rangé, de la culture populaire", où s’accumulent vingt kilomètres linéaires de manuscrits, affiches, costumes, marionnettes, etc. Ce legs unique : les "affaires" d’Édith Piaf, qu’elle conservait dans sa maison de campagne. Parmi ces joyaux, autant de morceaux d’âmes de la chanteuse, se trouvent rassemblés pêle-mêle sa garde-robe, photos, papiers personnels, lettres d’admirateurs...
Une exposition thématique
Voici alors le socle de l’exposition Piaf à la BnF, qui célèbre aujourd’hui, et jusqu’au 23 août, les 100 ans de naissance de La Môme. Directeur du département et commissaire de l’exposition, Joël Huhtwohl s’enthousiasme : "Il nous fallait à tout prix partager ce trésor !"
Au Fonds Piaf, d’autres pièces s’adjoignent vite, issues d’autres départements (Estampes, Audiovisuel), de l’Institut National de l'Audiovisuel et de diverses collections. Comment, dès lors, organiser cette manne ? Bertrand Bonnieux, conservateur au département audiovisuel et deuxième commissaire, s'exprime. "Nous souhaitions éviter l’écueil chronologique, et tout poncif, sur le mode 'De la Gloire à la Perdition', révélant la déchéance de la chanteuse, dont se délectent maintes émissions télévisuelles."
Interactive, arpentée casques aux oreilles, pour en apprécier la bande-son, truffée d’archives audiovisuelles, d’interviews, de pochettes de disque, de photos, de partitions, l’exposition, privilégie donc le découpage thématique, en quatre parties.
La première, Une femme du peuple, révèle ainsi l’enfance circassienne de Piaf, fille de saltimbanques, gamine des rues de Paris immortalisée sur papier glacé, adolescente rebelle qui vit de la mendicité, à la grâce de sa voix, en compagnie de la truculente Momone, sa sœur d’infortune.
Femme du peuple, Piaf, amoureuse des marins, des soldats, le fut aussi, par ses assimilations "patriotiques", ses interprétations de la Marseillaise, ou Ça ira dans Si Versailles m’était conté…de Sacha Guitry. Elle le fut enfin, par cette foule qui l’adula… et l’emporta.
La Petite Robe noire
Sur le deuxième chapitre, La Voix, plane, vivante comme un esprit, l’étoffe pleine de sa "petite robe noire". La pièce emblématique, le clou de l’exposition, selon Joël Huthwohl : "Résumé parfait de sa carrière, ce vêtement sobre synthétise sa silhouette. Certes, Piaf aurait pu adopter de plus flatteuses toilettes, se révéler ambassadrice sexy d’une mode parisienne. Et pourtant, elle avait cette intuition, cette clairvoyance : le public devait davantage réserver son regard à sa voix, à l’expression de son visage… Sa singularité !".
Ses autres signatures, décryptées par des experts, ici interviewés sur petits écrans ? Sa voix, au grain inimitable, rocailleuse, accentuée par les micros à charbon, la puissance de son interprétation… Mais aussi sa manière de forger des chansons, ou de confier leur création à d’illustres artisans : une alchimie évidente – mots-mélodie –, pour qu’elles "collent à l’intérieur du cerveau", selon le journaliste Philippe Meyer.
De cabarets (l’ABC, à ses débuts) à l’Olympia, de tube en tube, de sillon en sillon, sa carrière se dessine, et se chante. Comme son héritage, vivace : un pan de mur se consacre aux reprises –
Patricia Kaas, Anna Calvi, Cut Killer (dans
La Haine), le Japonais Akihiro Miwa, amant de Mishima… Eternelle Piaf !
L’Amoureuse
Abordé dans un décor intime, le troisième volet – banquette, lumière tamisée –, consacre L’Amoureuse, dévoreuse d’hommes, mille fois blessée, puis ressuscitée, dévastée par la mort de Marcel Cerdan, le boxeur. C’est L’Hymne à l’amour. C’est La Vie en rose : dans ses chansons se déclinent toutes les couleurs des sentiments.
De haut-parleurs, fuse aussi son rire en cascade, celui qui console, échos, éclats d’amitiés joyeuses. S’expose enfin son rapport à Dieu, aux superstitions astrologiques et mystiques, comme le rappel de ce miracle, qui la vit guérie par Sainte-Thérèse de Lisieux, d’une cécité. Ici, aussi, quelques fragments écrits, sur Piaf, par Roland Barthes ou Marguerite Duras.
La quatrième partie, enfin, assoit sa Légende : disques, matrices inédites, appareils phonographiques d’époque, relations aux médias, à la presse "people", films… Avant la fin du parcours, les deux commissaires confient : "Nous avons découvert une personnalité rigolote, déconneuse, et travailleuse. Outre le côté tragique, nous voulions éclairer cette facette". Pari gagné. L’exposition, tant légère que profonde, surfe sur plusieurs grilles de lecture, de la plus érudite à la plus amusante : en témoigne ce karaoké, où le visiteur peut chanter très fort (et même très faux).
La chanson ou la mort
L’écho qui persiste, au final de l’exposition ? La sincérité, à l’épreuve du feu, de Piaf, qui vivait ses chansons corps et âme. Ainsi, dans la dernière salle, elle se livre, à cœur ouvert, au fil d’un entretien plein d’émotions, au journaliste Pierre Desgraupes, juste après ce que les médias appelèrent sa "tournée-suicide", en 1959, en raison de ses graves problèmes de santé :
"Si je ne chante pas, je ne vis pas (…).Il y’a des gens qui ont des crises de larmes, moi, je récupère en chantant."
L’ultime photo montre son visage ravagé par la maladie, et pourtant serein, immortalisé par un tout jeune photographe du nom de Raymond Depardon. En bande-son, l’exposition se clôt sur J’m’en fous pas mal…Un ultime pied de nez, une dernière pirouette, autant qu’un grand sourire !
*La plus grande collection dédiée au Spectacle vivant en France (théâtre, danse, mime, music-hall, marionnettes, etc.)
Exposition Piaf à la Bibliothèque Nationale de France jusqu'au 23 août 2015
Autour de l’Exposition :
- Amandine Bourgeois réinterprète Piaf, le mardi 19 mai, 18h30-20h00 au Grand Auditorium.
- Piaf Remix par le DJ Claude Challe, mercredi 20 mai, 21h00-23h00, Hall des Globes.
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