Michel Jonasz, trois décennies d’Unis vers l’Uni

Michel Jonasz, trois décennies d’<i>Unis vers l’Uni</i>
Michal Jonasz Quartet © S. Vivier

C’était il y a trente ans. En 1985, Michel Jonasz sortait chez Atlantic Records, son disque phare, Unis vers l’Uni, aux multiples récompenses, et entamait la tournée éponyme. Les 18 et 19 septembre derniers, sur la scène du Casino de Paris, il a repris ce répertoire, avec des membres émérites de l’équipe originelle : son complice de toujours, le pianiste Jean-Yves D’Angelo, le batteur de jazz Manu Katché, rejoints par le contrebassiste Jérôme Regard. Diablement groovy, le quartet "jazz" a livré, pour la Première, un show plein de panache et d’émotion. On vous raconte !

Dans l’écrin de velours rouge du Casino de Paris, chargé d’esprits, un groove s’élève : l’assise ronde d’une contrebasse, les battements polymorphes d’une batterie, la naissance d’un piano. Sur les planches, une stature familière – veste, cravate, couronne de cheveux blancs –, pose sa voix-signature sur la ferveur charnelle d’une salle comble, souffle swing dans son Melodica. Ainsi Michel Jonasz entame-t-il son récital, au chant de quelques vers précieux, ciselés dans l’air : "Je sais que les anges dans les nuages. M'attendent pour faire la pluie, l'orage/ Avec ma peine/Un jour…"Y’a rien qui dure toujours, chanson d’ouverture…

Le temps, qui file doux sur les accords, éclaire la courbe de mélodies écloses, les premières pulsations et les mots inauguraux d’un chanteur, qui n’en revient toujours pas : "Qui se souvient du spectacle Unis vers l’Uni ? C’était il y’a trente ans, vous imaginez ? Trente ans… Il y avait déjà Manu Katché à la batterie, Jean-Yves D’Angelo au piano, rejoints aujourd’hui par Jérôme Regard, à la contrebasse. Nous souhaitons notre joie contagieuse : que vos âmes soient légères… et qu’elles dansent !"

Il y a trois décennies, naissait ainsi ce miracle, ce disque certifié d’or, salué de trois récompenses aux Victoires de la Musique (Meilleure chanson pour La Boîte de Jazz), et sa tournée, reprise les 18 et 19 septembre dernier, en quartet.
 
Le quatre-quarts de Proust
 
Ces jours-là, de nombreux spectateurs convoquent la sortie d’Unis vers l’Uni d’un souvenir alerte : n’était-ce pas hier ? Pour les fans, le temps court vite, au rythme de disques achetés, de concerts immanquables. Ils se nomment Virginie, Simone, Christophe, Mykaïa, Patrick, Raymond-Sylvestre, Éliane ou Robert : tous se déclarent "fous de Jonasz", de ce "chanteur au swing parfait, tendre, généreux, de ses paysages, sertis d’émotions, de personnages et de poésie".

Parmi eux, Ours (Charles Souchon), et Julien Voulzy, fils de ses copains, parlent même d’un "tonton", qui "évoque bien plus qu’une petite madeleine de Proust : un gros morceau de quatre-quarts !". Jonasz signe la bande-son de vies hétéroclites, ici assemblées – celle d’amours, de peines, de joies. La gouaille vive, en accord avec sa choucroute capillaire rouge, Brigitte, autoproclamée "fracassée de Mimi", résume ainsi la situation : "On était là il y a trente ans, et on n’a pas pris une p… de ride".


Les joueurs de groove

Sur scène, non plus, les titres n’ont pas pris une ride. Et pour cause : sans cesse, le chanteur réinvente ses arrangements, leur confère d’autres couleurs, avec une classe rare. Il ne saurait d’ailleurs trop user du rétroviseur : "On n’est pas nostalgique. Simplement, c’est vrai qu’on a de beaux souvenirs. Tiens, en voilà un, par exemple." Et Jonasz d’entamer Les Wagonnets.
 
Dans l’air, il dessine ses mélodies, alchimiste du groove, modèle ses mots, claque des mains, danse. Sur de beaux rails, ses tubes défilent, surprenants de panache. L’auditoire, ravi, embarque sur les riffs funky de Groove Baby Groove, les effluves latines, à haute teneur poétique, de Boléro, les appels brésiliens de Bossa, sur lequel Manu le sorcier, sort le jeu fou d’une impro démoniaque, les rythmiques imparables de La FM qui s’est spécialisée Funky… Et bien sûr, le mythique Super Nana, annoncé par un préambule hilarant, où Michel conte son adolescence. Ours et Julien Voulzy, émus, ne mâchent pas leur admiration : "Comme Nougaro, il possède une manière géniale de faire swinguer la chanson française : un mélange de poésie, de textes raffinés, et de musicalité 'anglo-saxonne'."
 
Au fil du show, Jonasz s’écarte de ses sentiers, s’amuse, digresse. Comme des gamins fous, empreints de gimmicks tordants, parés d’une complicité radieuse, ils reprennent Everyday de B.B.King. La batterie de Manu se fait locomotive imparable, sur laquelle voyage, volubile, la contrebasse de Regard, et d’où s’envolent les notes de D’Angelo. Retenons aussi les intermèdes de Jonasz, sketchs désopilants, qui rappellent sa carrière d’acteur : "mention spéciale" pour son imitation irrésistible d’un De Gaulle imaginaire, qui aurait récité le Twist des Chaussettes Noires…
 
Des âmes qui dansent
 
Enfin, Michel se fait intime. Sous une émotion palpable, et des chœurs unanimes, il déroule ses sublimes Fourmis rouges ; convoque la mémoire et le chant de son magnifique choriste, Arthur Simms, mort du sida, sur Vingt-cinq piges, donc cinq au cachot…Les couples se serrent sur un piano-voix, issu de son récital avec D’Angelo : pincements de cœur et œil qui pique accompagnent sa voix-orchestre, palette d’émotion, sur J’t’aimais tellement fort…Enfin, agrippé au micro, il incarne la douleur d’une séparation. "Nous non plus Michel, on veut pas que tu t’en ailles", s’enroue Mykaïa…
 
Et voici le final, en feu d’artifice. Des cuivres rejoignent le quartet. Des claquements de doigts lancent le tempo. L’âme légère, les spectateurs descendent dans cette Boîte de jazz, "histoire d’oublier le cours de leur vie", avant de swinguer sur Joueur de Blues. L’âme dansante, ils chantent à pleins poumons… C’était il y a trente ans ; c’est aujourd’hui et c’est maintenant : Jonasz, décidément, se conjugue au présent.
 
Michel Jonasz Unis vers l’Uni (Atlantic Records) 1985
Site officiel de Michel Jonasz
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