75 bougies soufflées le 18 octobre, une autobiographie publiée chez Fayard, un week-end de célébrations de ses 50 ans de carrière à la Philharmonie de Paris, et un documentaire réalisé par Sandrine Bonnaire diffusé le 1er novembre prochain sur Arte, tout en préparant un nouvel album pour l’an prochain : Jacques Higelin est bien loin de prendre sa retraite. C’est toujours avec grâce et un grain de folie qu’il nous donne de ses nouvelles, comme si le temps n’avait pas de prise sur cet éternel adolescent.
Je ne vis pas ma vie, je la rêve : le titre de l’autobiographie de Jacques Higelin résume bien ce parcours raconté au présent, et à la première personne du singulier, par cet éternel gamin, né en pleine Seconde Guerre mondiale, le 18 octobre 1940. La tignasse toujours ébouriffée, bien que blanchie par les années, mais la mémoire vive, le chanteur, rockeur, poète, a entraîné la journaliste Valérie Lehoux sur les lieux de son enfance : à Chelles, en banlieue parisienne, là où il grandit, où il alla à l’école.
Une école privée, La Paix Notre-Dame, était dirigée par Madame Cavalier, qui la première détecta les dons du petit Jackie : "A l’école, ce que je préférais, c’était les rédactions, se souvient le chanteur. Un jour Madame Cavalier me convoque dans son bureau. Tous les élèves qui ne m’aimaient pas, se disait que j’allais m’en prendre plein la tête, parce que des fois, je faisais des trucs et des détours. Elle me dit : 'Est-ce que tu aimes le théâtre ? Tu connais Molière ?' Moi je ne connaissais pas, j’avais 9 ans". La directrice repère vite cet élève qui préfère raconter des histoires aux petits plutôt que jouer avec ceux de son âge. Elle le pousse à monter sur scène. "J’ai été conduit dans ma vie par des gens formidables !" reconnait Jacques Higelin.
Dans son autobiographie, le chanteur rend hommage à ceux qui l’ont aidé à devenir celui qu’il est : son frère Paul, sa mère aimante, sa grand-mère avec qui il prend plaisir à chanter à deux voix. La musique, il en écoute dans son foyer. Son père aimerait qu’il devienne le nouveau Maurice Chevalier, mais Jackie préfère Charles Trenet : "Je partais à l’école en chantant Trenet, parce que c’était le swing, j’écoutais du jazz aussi".
De nombreuses rencontres
Mais s’il quitte l’école à quinze ans, Jacques Higelin se dirige d’abord vers le théâtre. Il passe bien une audition aux Trois Baudets, mais le mythique patron du cabaret, Jacques Canetti, lui conseille de revenir dix ans plus tard. Ce qu’il fait, en 1965 donc, enregistrant grâce à lui un disque de reprises de Boris Vian.
Autres rencontres marquantes : celle avec Henri Crolla, qui lui offre sa première guitare, et puis celle avec Brigitte Fontaine, une nuit d’été au milieu des années 60. "Je traverse le boulevard Saint-Michel et je vois L’Écluse, se souvient-il, le regard brillant. Il se trouve que je cherchais une fille pour jouer une pièce de théâtre avec Rufus et moi. J’étais dehors devant L’Écluse, et, derrière les rideaux, j’aperçois Brigitte Fontaine qui était belle comme tout ! Elle était hyper sexy, accompagnée par un pianiste classique. Je rentre dans le cabaret, je la regarde, j’attends qu’elle ait fini. Je lui dis : 'J’aimerais faire un spectacle avec vous, car vous avez l’air de n’avoir pas peur de la mort'. La bonne blague, c’est tout le contraire. Elle me répond : 'Ah moi je suis terrorisée'". Jacques Higelin s’interrompt pour rire : "Elle est trop mignonne ! Et elle n’a pas changé, elle est toujours terrorisée. Bref, je lui parle du spectacle qui s’appellera Maman j’ai peur, et elle me demande qui est le copain avec qui on jouera. Et on sort de L’Écluse, le jour se lève, les lampadaires de Paris s’éteignent. Et là, on voit apparaître Rufus sur son Solex. Le jour où je rencontre Brigitte, on voit Rufus au moment où elle me demande qui c’est. Vraiment, j’ai une chance inouïe, je fais des rencontres tout le temps quand il faut!".
Ainsi, c’est avec cette pièce Maman, j’ai peur, jouée en 1964 au théâtre de la Vieille grille, que commence une amitié de plus de cinquante ans, marquée par des collaborations théâtrales et musicales puisque Jacques Higelin formera avec Brigitte Fontaine et Areski Belkacem un trio dans les années 60.
Du côté du rock
Une petite dizaine d’années plus tard, Jacques Higelin, après une période de vie en communauté, prend un virage rock et sort en 1974 BBH 75, album phare de sa carrière, considéré comme un disque pionnier du rock français.
Puis quatre ans plus tard, le double album Champagne/Caviar le hisse au firmament. Dans son autobiographie, Jacques Higelin ne masque pas ses périodes de découragement, heureusement suivies de séquences intenses de création. C’est le cas de l’album Tombé du ciel, qui paraît en 1988 alors que son auteur a pensé arrêter la chanson. "Aujourd’hui, c’est l’album dont je suis le plus fier. Il s’est fait en état de grâce", raconte-t-il dans son livre. Le poète n’a finalement jamais cessé d’écrire : son dernier album Beau repaire, date de 2013, et un nouveau est en préparation pour l’an prochain.
En attendant, Jacques Higelin reprendra ses plus belles chansons le 24 octobre à la Philharmonie de Paris, accompagné d’un orchestre symphonique dirigé par Bruno Fontaine, qui assure les arrangements. Le lendemain, au même endroit, ce sont les fines fleurs de la chanson française, La Grande Sophie, Catherine Ringer, ou Jeanne Cherhal qui rendront hommage à ce nouveau et éternel "fou chantant".
Jacques Higelin Je ne vis pas ma vie, je la rêve (Fayard) 2015