Devenu totalement indispensable dans le paysage des festivals québécois, le festival de la chanson de Tadoussac ne cesse d'avoir le vent en poupe. Malgré une météo légèrement capricieuse, la 33e édition qui a pris fin le dimanche 12 juin, a surfé à nouveau sur une vague enchanteresse. Isabelle Boulay, Keith Kouna et Yann Perreau auront livré chacun à leur manière des concerts d'une véritable intensité.
On n'en finira jamais assez de saluer l'incroyable pouvoir d'attraction de ce festival à dimension humaine. Comment un village québécois de seulement 800 âmes parvient-il à se muer en événement artistique si vivant, si fédérateur et si éclectique ? Insolente réussite qui hisse définitivement Tadoussac au rang d'incontournable. Les atouts pullulent : un site d'une beauté renversante (la vue de l'hôtel principal sur le fleuve Saint-Laurent fait pâlir le jour), une équipe soudée et généreuse, un taux de remplissage au zénith, une diversité de lieux enchanteurs, une programmation embrassant aussi bien le passé que misant sur la découverte. Passage en revue de quelques forces vives.
Isabelle Boulay : la belle surprise
Compte tenu d'un long CDD dans l'émission La voix au Québec, il y a eu peu de dates hexagonales de son récital autour des chansons de Serge Reggiani, d'où une certaine curiosité doublée d'une légère réticence initiale. Qui aurait parié voir la si fringante Isabelle Boulay, entourée de deux brillants musiciens (un pianiste délicat et un multi-instrumentiste étonnant) et s'aventurant sans aucune anicroche dans un répertoire prestigieux. Sobriété salvatrice des arrangements, intermèdes savoureux, "set-list" parfaitement agencée entre classiques et pépites moins connues. Le concert s'ouvre sur la diction altérée de Reggiani sur sa bouleversante ultime chanson (Le temps qui reste). Il se termine par une Isabelle Boulay habitée sur Ma fille, chanson qu'elle avait interprétée avec lui un soir de mars 2003 sur la scène du Palais des Congrès à Paris. Au milieu, quelques fulgurances : la maîtrise parfaite du complexe pont récitatif de La chanson de Paul, l'intensité viscérale de Si tu me payes un verre, l'urgence insufflée à J't'aimerais. Pari gagné haut la main.
Keith Kouna : la claque
Double ration puisqu’il s'est d'abord produit - punk et maquillé comme la fiancée - au sein de son groupe Les Goules, reformé après une pause de huit ans. Du délire à tous les étages pour une expédition sans boussole vers des rives survoltées. Le lendemain, on l'a retrouvé en solo. Et là, impossible de ne pas être cueilli par sa liberté ravageuse et la profondeur de ses mots autant absurdes que brillants. L'énergumène, sorte de Philippe Katerine de la Belle Province en plus accompli, nous embarque sur des montagnes russes émotionnelles. Passer de Batiscan, poignant hommage à son père disparu, au délirant Labrador est une expérience scotchante. Ce concert, c'est à la fois une digression burlesque et grinçante, une percée ludique et lucide, un abandon tendre et délirant. La connexion avec le public est impressionnante, l'ovation tonitruante. Jubilatoire !
Plume Latraverse : le patrimoine
Quarante-cinq ans qu'il promène son verbe poétique et son acuité anticonformiste. Autant dire que son univers est désormais inscrit dans la mémoire collective. Le visage buriné par les excès, l'homme n'est pas non plus forcément aimable. Honnêtement, on n'aurait pas imaginé qu'il tienne la scène durant presque deux heures. Le chansonnier avance à son rythme, en formule trio. Ne pas s'attendre à ce que Plume Latraverse sorte musicalement de sa zone de confort. La voix est comme d'habitude, sur la brèche. Pour le Québécois, c'est un bonheur non dissimulé. Pour les maudits Français que nous sommes, c'est légèrement excluant.
Yann Perreau : le panache
Artiste majeur, il récolte enfin ce qu'il mérite : un tube. D'une légèreté irradiante, celui-ci s'intitule J'aime les oiseaux. Curieusement, il le place en ouverture de son show. Mais ce n'est qu'un détail tant Yann Perreau réussit à nous attraper dans ses filets. Charisme indéniable, écriture qui a du mordant, équilibre parfait entre morceaux pop accrocheurs et chansons intimistes. Nerveux ou planant, cela ne laisse jamais de marbre.
Safia Nolin et Sept jours en mai : les déceptions
Précédée d'une réputation avantageuse au Québec, la jeune Safia Nolin a réussi l'exploit de nous mettre les nerfs en pelote. D'abord parce que son folk n'a rien de singulier. Ensuite parce que ses textes se révèlent d'une inanité confondante (est-ce bien raisonnable d'écrire "Je passerai Noël dans un avion/Sur un bateau au milieu de l'eau/Noël sur une montagne/En Espagne ou en Bretagne ?"). Enfin parce qu'elle a oublié la notion d'élégance (est-ce nécessaire de clamer entre deux chansons "J'hésite à faire un gros rot ?"). Quant à Sept jours en mai, projet collectif réunissant quelques jolis fleurons comme Michel Rivard, Luc De Larochellière ou Gilles Bélanger, il s'est vautré dans un ennui abyssal. L'idée d'accoucher de chansons en une semaine ne manquait pourtant pas d'intérêt sur le papier. Encore aurait-il fallu connaître l'inspiration.
Dumas : le récréatif
Ce trentenaire à l'énergie dévastatrice est parvenu à nous faire décoller les deux pieds du sol. Il déballe à la pelle des hymnes à la fois multicolores, dansants et fêtards. De la pop hédoniste qui s'acoquine avec de l'electro et du groove. Objectif proclamé jusqu'à plus soif par Dumas ? Transformer Tadoussac en "stade olympique". Et ça marche presque à tous les coups. Avec des refrains scandés à l'unisson, sa musique est conçue pour anéantir spleen et sinistrose. Sacrément jouissif à défaut de novateur.
Les chemins d'écriture : l'indispensable
Animés depuis belle lurette par le créatif Xavier Lacouture, ces ateliers constituent un passeport souvent rayonnant vers l'avenir. Y sont notamment déjà passés : Klô Pelgag, Lisa Leblanc, Jorane, Alex Nevski... Sur les huit talents sélectionnés pour cette édition, Eric Charland et le Français Hildebrandt sont nettement sortis du lot. Le premier a attiré l'attention avec Je n'irai pas, titre radiophonique à l'influence croisée de Pierre Lapointe et William Sheller. Le second, à la voix impériale, nous a transpercé l'âme avec le sublime C'est jamais loin. Et comme le reste de ces morceaux présentés est également de très haute tenue, on a bel et bien pris date pour son album prévu à la rentrée.