Cinq ans après son dernier album studio, La Porte Plume, Amélie-les-Crayons, mi-chanteuse, mi-fée, longs cheveux et silhouette gracieuse, revient avec Jusqu’à la Mer, un disque chargé d’embruns et de couleurs, de falaises, de rochers et de créatures merveilleuses, servi par les instruments hétéroclites de l’arrangeur Olivier Longre (lyre, dulcimer, banjo…) Piste à piste, nous la suivons vers ses étonnants horizons…
RFI Musique : Vous venez de célébrer vos dix ans de carrière en tant que chanteuse…Quel fut le chemin parcouru ?
Amélie-les-Crayons : Si cette décennie a passé en un battement de cils, cela ne m’a pas empêché de noter une énorme évolution. Pendant dix ans, sur les planches, j’ai appris au quotidien à exercer mon métier, à gérer les tournées, à être le plus disponible possible pour mon public, mais aussi à prendre soin de moi, à me préserver… Au fil du temps, ma voix a façonné mon écriture : je sais désormais qu’elle peut aller à certains endroits jusqu’alors inexplorés. L’horizon s’est considérablement élargi !
Aujourd’hui, votre voix (votre voie ?) vous mène Jusqu’à la mer, le titre de votre dernier album… Pourquoi ?
Née à côté de Lyon, la mer a toujours été un fantasme pour moi. C’était l’appel de tous les voyages, les vacances d’été chez ma grand-mère en Bretagne, région avec laquelle je cultivais un lien affectif fort. Et puis, il y a quatre ans, j’y ai emménagé. J’habite désormais à proximité de la mer. Il s’agit d’une expérience nouvelle, très particulière et très plaisante, de côtoyer au quotidien cet élément maternel, féminin, mystérieux, doux, parfois effrayant… Et même à vingt minutes des côtes, je ressens sa présence en continu, très imposante… Une véritable connexion !
Dans votre titre, vous précisez "jusqu’à…". Est-ce à dire que vous restez au bord de l’eau, que vous ne touchez pas la mer ?
Oui, car il y a un chemin pour aller à la mer, et pour moi, seul compte cet itinéraire vers la sensation d’une présence marine. Mais il s’agit aussi d’une métaphore de ce cheminement intérieur pour se rapprocher de soi-même : une aventure longue, laborieuse, qui exige des concessions, nécessite des batailles, pour finalement atteindre une certaine sérénité. Cet album parle de tout cela, de tout ce que l’on traverse…
Il y a dans votre album, un socle "celtique", mais aussi d’infinis paysages, comme autant de cartes postales. Il y a de la matière, des couleurs, de la lumière et d’étranges sonorités amenées par l’orchestration d’Olivier Longre…Tous vos voyages ?
Je pense qu’Olivier Longre, mon ami, mon complice depuis près de dix ans, y est pour beaucoup avec ses instruments bizarres, qui interpellent, font voyager l’oreille. Il possède ce goût des grands espaces, de l’exotisme… Et puis surtout, quand je lui envoie les dessins de mes chansons, il les colorie avec justesse et pertinence. Avec lui, j’ai toujours l’impression de redécouvrir mes créations sous un nouveau jour.
Dans Jusqu’à la Mer, se dresse la Forêt de Brocéliande, sa magie, des elfes, des fées… Un univers très breton et enfantin ! Nous nous imprégnons forcément des endroits où nous vivons... En Bretagne, il y a cette force granitique, qui draine toutes ces légendes. Quant au côté enfantin, je crée avec mon âme d’enfant, cette période de la vie où nous sommes ultra-sensibles à l’univers qui nous entoure…
La plupart de vos chansons parlent aussi d’amour…
C’est un sujet inépuisable, la matière première de toutes les créations du monde. Nous sommes obligés d’y passer, car c’est le sentiment le plus simple et le plus noble, et quand il devient compliqué, c’est là que naissent les chansons…
Depuis vos débuts, vous êtes restée chez Neomme, votre label indépendant… Pourquoi ce choix ?
De façon pragmatique, dès que des acteurs de majors ont tenté de m’approcher pour x ou y raison, j’ai tout de suite senti que nous n’étions pas du même monde. Et puis, j’adore les personnes avec qui je travaille, je n’ai aucune raison de les quitter. A bien y réfléchir, il y a peut-être dans ces choix une dimension militante… J’aime donner du sens à mes créations, une cohérence, j’aime ce travail d’équipe où chacun joue sa partie : Olivier Longre à l’orchestration, Samuel Ribeyron à l’illustration des pochettes d’album et des cartes qui le composent… Chacun donne corps à mon univers, à sa façon, avec son âme. Alors, bien sûr, je ne passe pas à la télé, je ne suis pas très médiatisée, mais ce n’est pas mon objectif. Mon moteur, c’est de fabriquer des trucs un peu dingos, entourée de ma famille musicale… J’ai une chance infinie que ce rêve existe. Mes disques se vendent bien, mes spectacles se jouent à guichets fermés… L’autre jour, à Lyon, j’ai reconnu dans le public des fidèles qui me suivent depuis dix ans ! Beaucoup d’émotion ! Et puis j’arrive à faire vivre une petite dizaine de personnes autour d’Amélie-les-Crayons : je trouve ça génial ! Quand j’écris mes petites chansons dans ma chambre, je ne m’imagine pas que ça va générer de l’emploi, de l’énergie, de la création, c’est une énorme fierté, de la magie !
Vous venez à l’origine du théâtre de rue… Vous vous retrouvez dans ce côté troupe ?
La vision de mon métier est sans doute différente de celle des chanteurs "classiques", parce que je fonctionne en spectacle. Chaque album amène son propre univers… Dans ces métamorphoses, j’essaie pourtant toujours de rester au plus proche de ce que je suis. Mais c’est un long chemin, une bataille de chaque jour. Dans un monde où nous sommes tout le temps coupés des autres et de soi-même, ça demande parfois beaucoup d’effort pour rester connecté à notre être profond.
Amélie-les-Crayons Jusqu’à la Mer (Neomme) 2012
En tournée française