Antoine jette l’ancre

Antoine
© A.Kato

Vingt-cinq ans après son dernier album, Antoine, le chanteur des Élucubrations a retrouvé le chemin des studios d’enregistrement parisiens, sous la conduite de Stanislas. Son nouvel album s'intitule Demain loin. Et il en profite pour publier un pamphlet.

On avait l’habitude qu’Antoine revienne d’une île lointaine ou d’une mer du Sud avec son grand sourire et sa barbe fleurie. Il riait et parlait de soleil, d’eaux bleues, de douceur de vivre et de navigation paisible. On en avait presque oublié qu’il était chanteur, et même un des chanteurs importants des années 60. En une chanson, Les Élucubrations, grand succès de 1966, il avait "beatnikisé" la France gaullienne et s’était drapé à tout jamais dans une chemise à fleurs aussitôt mythique – même si c’est à Grenoble qu’il avait acheté le premier exemplaire de son vêtement symbolique. 

Il se trouve que le nouvel album d’Antoine, le premier qu’il signe depuis vingt-cinq ans, est une sorte d’héritier de ces années-là. Car, alors qu’Antoine n’a pas encore mis le cap sur les mers lointaines, il travaille avec un musicien du nom de François Renoult, qui signe notamment les arrangements de son tube Je l’appelle Cannelle. Quelques années plus tard, il nait un fils à ce musicien, un enfant prodige qui, par sa voix et ses multiples talents de compositeur et chef d’orchestre, mène une irrésistible ascension dans la musique classique et dans la pop – c’est le chanteur Stanislas.
 
Un disque à 68 ans
 
L’envie de ramener Antoine dans les studios d’enregistrement était un vieux rêve, notamment parce que le chanteur des Élucubrations est doté d’une belle voix joyeuse et d’une remarquable efficacité dans l’interprétation. Et Stanislas a convaincu l’ami de son papa de refaire un disque, à soixante-huit ans.
 
L’album s’intitule Demain loin, mais il parle surtout de fidélité et de permanence : Antoine s’y montre tel qu’on le connait bien, toujours en partance et toujours amoureux de la brise douce. Il a écrit ainsi Chanter au soleil : "Moi je veux chanter au soleil/Qu’est-ce qu’ils ont fait de la nature/Moi je veux chanter au soleil/Je n’en peux plus de tous ces murs". Car Antoine est toujours hédoniste, écolo, obsédé par l’idée d’un monde sans frontières et sans interdits. Sa reprise d’Il voyage en solitaire, qui clôt l’album, est significative : l’historique tube de Gérard Manset est un manifeste pour la liberté de parole et de pensée qui a marqué les consciences des années 70 (il a également enregistré par Alain Bashung sur son ultime album, Bleu pétrole).
 
En réalisant l’album d’Antoine, Stanislas a fait appel à quelques auteurs et compositeurs pour les épauler, ce qui n’a pas donné des chansons moins idiosyncrasiques, comme Zimmerman, un bel hommage à Bob Dylan qui fut le modèle absolu du jeune Antoine qui sillonnait l’été, sa guitare sur le dos et des chansons plein la tête, ou comme Pays natal qui célèbre la terre de Madagascar où il a vu le jour au hasard de la carrière de son père ingénieur. Il interprète aussi une chanson de Romain Lemire qui rêve d’une légalisation de la marijuana thérapeutique, tout en affirmant qu’en ce qui le concerne, il a toujours préféré le vin rouge au pétard.
 
Et, des lustres après avoir invité le président de la République à mettre "la pilule en vente dans les Monoprix" avec les Élucubrations, il a enregistré une chanson militante et hédoniste à la fois, Les Arts du lit, dans laquelle il affirme ses convictions en faveur de la dépénalisation de la prostitution – "Y’a des refroidis qui voudraient fermer ma petite rue/Dites-moi de quel droit/Alors que Jésus Christ lui-même avait/Une amie qui faisait ce métier-là".

Le thème le passionne depuis des années, au point qu’il a pris la plume et publie, en même temps que son nouveau disque, un essai méticuleusement argumenté, Délivrez-nous des dogmes, dans lequel il s’en prend à un certain nombre d’idées préconçues – de l’immuable orthographe du français aux tabous sur la nudité. Un idéal libéral et libertaire qui rappelle beaucoup un jeune homme qui, des années avant Mai 68, chantait des désirs et des aspirations tout neufs. Il n’a donc pas changé.

Antoine Demain loin (Polydor/Universal) 2012
Antoine Délivrez-nous des dogmes 1 livre (Editions Léo Scheer) 2012.
 
En concert à l'Olympia le 14 novembre