Pour son troisième album, le chanteur belge Saule mêle, en un même art, ses deux amours : la grande tradition française (Brel, Brassens…) et le rock anglo-saxon (Jeff Buckley, Radiohead…). Pour l’épauler dans cette entreprise, le Britannique Charlie Winston a réalisé son disque. De cette collaboration généreuse, résulte Géant, un album tout en groove, en mots et en humour. Rencontre avec ce grand gaillard de presque deux mètres : Saule.
RFI Musique : Baptiste Lalieu, d’où vient votre surnom de Saule ?
Saule : Dans ma vie d’avant, je jouais du punk anglais. Un jour, j’ai eu l’impression que la routine me guettait. J’ai donc débranché, troqué l’électricité et la langue de Joe Strummer, pour une guitare acoustique, et me suis mis à composer des chansons en français. Pour écrire l’une des premières, j’ai gratouillé devant un saule : comme dans un film de Tim Burton, je me suis imaginé l’arbre animé, doué de paroles… De cette aventure, j’ai gardé une chanson et le nom de cet éphémère compagnon. J’aime cet arbre poétique, "l’arbre à dreadlocks", cet arbre-médicament dont on tire la substance pour fabriquer l’aspirine, ce végétal dont le nom sonne en symbiose avec l’âme, en anglais (soul). Et puis, ses infinies racines me rappellent mon propre ancrage sur scène, ma façon d’aborder la musique : terrienne…
Vous avez déjà sorti deux albums : Vous êtes ici (2006) et Western (2009), réalisé par Seb Martel, avec la présence de Dominique A. Aujourd’hui, le chanteur britannique Charlie Winston, réalise votre troisième disque, Géant… Comment la connexion s’est-elle faite? J’ai rencontré Charlie lors de l’émission
Le Pont des Artistes d’Isabelle Dhordain, sur France Inter. D’emblée, ça a matché : musicalement, humainement ! Par la suite, il m’a cité systématiquement dans son Top 5 de chansons préférées. Puis je l’ai invité à chanter avec moi aux
Trois Baudets (Paris). Lui, en retour, m’a convié à assurer sa première partie à La Cigale. Bref, une sorte d’effet boule de neige, hyper simple, hyper convivial ! A chaque fois qu’il passait à Bruxelles, on se voyait. Lors d’un déjeuner, je lui ai parlé de mes projets : sortir un disque aux accents plus anglo-saxons, qui corresponde plus à ce que j’écoute (Radiohead, Bon Iver…), trouver un réalisateur. Il m’a coupé : "
Moi !" Par la suite, il m’a avoué que, selon son agenda, c’était un engagement kamikaze. Je n’ai, pour ma part, pas hésité une seconde ! Nous étions tous deux animés de cet instinct ludique, de ce feeling partagé, de cette spontanéité. Je lui ai envoyé mes démos : il a adoré ! C’était parti…
Avec cet album et cette collaboration, vous avez trouvé une autre voix ? Une autre voie ?
Oui ! Dans les deux orthographes ! La claque de ma vie fut Jeff Buckley. A l’époque, j’ai bossé comme un fou mes voix de tête ; d’aucuns m’ont alors comparé à
M pour le timbre. Mais Charlie, tout de suite, m’a dit que je pouvais faire plus, explorer d’autres territoires… Peu avant le studio, il a poussé un (gentil) coup de gueule. Il m’a dit en substance :
"En France, depuis Gainsbourg, que je respecte, j’ai l’impression que tous les chanteurs se sentent obligés de susurrer tout près du micro, de jamais pousser la voix ! Mais fuck
, t’as de la voix ! Envoie-là !" Il m’a, en quelques sortes, libéré, et aidé à résoudre la dichotomie entre ce que j’écoutais et ce que je faisais. Grâce à lui, j’ai retrouvé cette énergie punk que je peux avoir sur scène, dans mes pistes studio.
Comment vous a-t-il fait travailler ?
En termes de production, les Anglais sont un cran au-dessus de nous ! Musicalement, j’ai appris beaucoup à son contact. Vocalement, aussi. Il ne faut pas se leurrer ! Moi, en Belgique, sur mes précédents albums, je faisais trois voix différentes ensemble, et je m’extasiais ! Alors qu’avec Charlie, on refaisait parfois quatre prises uniquement pour les chœurs, on passait une demi-journée sur les batteries, les autres musiciens devenaient fous… Il était tatillon, perfectionniste, et lorsque vers deux heures du matin je piquais du nez, il ordonnait : "Saule, go to bed !" (Saule va te coucher !), et continuait seul avec une exigence intact. Ce goût du détail n’a pas de prix : au final, la différence est là. Le groove, le frisson, l’émotion…
La chanson Dusty Men, en duo avec Charlie, scelle bien votre complicité…
A l’origine, ce titre n’était pas prévu ! Une semaine avant le studio, l’album était bouclé, j’ai fait écouter à Charlie cette chanson pour déconner, cette récréation ! Il a trouvé ça terrible. On a décidé de la rajouter au dernier moment. Notre premier single !
Vous étiez auparavant comédien… Voyez-vous des similitudes entre l’écriture de pièces de théâtre et celle de chansons ?
Oui ! Au conservatoire de théâtre, en Belgique, nos professeurs nous demandaient d’observer des gens dans la rue à leur insu, de traquer leur démarche, leur voix, et de les imiter. Finalement, de cet exercice, de mes notes, de mes mémos théâtraux, ont résulté mes premiers textes. Les chansons de Saule, ce sont souvent des micro-zooms dans la vie des gens ou de la mienne. Dans cet album, Le Bon Gros Géant, à la rythmique entre tarentelle italienne et pompes de Brassens, part de mon immense carcasse pour venir défendre avec humour tous les opprimés du monde. Dans Type Normal, je raconte ma vie, à la façon d’un humoriste de stand up : un quotidien banal, truffé de détails, qui finissent par faire hurler de rire le public, tellement il partage ces situations. A chaque fois, que ce soit "je, tu ou il", j’essaie d’adopter, dans mes chansons, un point de vue qui touche à l’universel…
Saule Géant (Pias) 2013
Concert le 28 mars aux Trois Baudets (Paris)