Bertrand Belin, la pudeur créative

Bertrand Belin
© Ph. Lebruman

Parcs, le quatrième album de Bertrand Belin nous promène dans des allées où la musique foisonne et le texte se dénude, où l'ombre de Jack London et de Herman Melville se croise au détour d'une ou deux chansons. Enregistré à Sheffield sous la houlette de Mark Sheridan, ce disque est une jolie réussite qui devrait confirmer un succès grandissant.

RFI Musique : Parcs est très produit avec des arrangements qui voient même l'apparition de synthétiseurs. C'est une première ?
Bertrand Belin : Oui, c'est assez neuf. Il y a toujours eu des claviers dans mes disques, mais en effet, pas des synthés ou des sons qui appartiennent à ce qu'on pense être une autre famille musicale. Cela fait longtemps que j'ai envie d'investir ces territoires pour aller où on ne m'attend pas, pour rompre. J'ai le souci de ne pas me répéter. C'est assez difficile de ne pas le faire complètement d'ailleurs, puisque d'un disque à l'autre, on retrouve quelque chose qui se dépose, que l'on n'avait pas invité, mais qui est là parce que c'est le même artiste.

Vous êtes allé en Angleterre pour y chercher un son ?
Pas seulement. J'avais surtout besoin de pouvoir me reposer de la vigilance permanente que réclame un disque. Il faut être sûr de ses choix, être à la fois interprète et démiurge. Je tenais cette fois à confier les clés de la maison à quelqu'un. Je voulais garder un regard extérieur sur mon travail sans avoir à gérer le côté "demain, on va enregistrer ça, commencer comme ci ou comme ça". Là, c'est Mark Sheridan qui a pris en charge le déroulement des séances de studio. Il a apporté le son et quelques enluminures qui font vraiment la différence. Moi, j'avais le plaisir de pouvoir m'extasier ou remettre en question. C'était une situation assez confortable.
 
Votre voix a toujours été profonde, mais cette fois, le trait est vraiment assumé et paradoxalement, vous vous permettez parfois des hauteurs étonnantes...
Pas encore assez à mon goût mais ça viendra. C'est une histoire de réconciliation des opposés. Et puis, il faut pouvoir travailler une langue dans sa nature particulière avec d'autres registres sonores, poursuivre un récit sans perde le fil. C'est assez délicat. Chanter aigu me demande des efforts physiques que je ne peux pas trop reproduire sur scène. Sur mon premier disque, j'en étais capable sans me faire une entorse, maintenant c'est devenu un peu plus compliqué.
 
Dans vos textes, il y a quelque chose de l'ordre de la pudeur. Vous vous inspirez plus de la culture, des livres lus, que de votre quotidien ou de vos sentiments ?
C'est tout le contraire, mes chansons sont mine de rien, fondées sur des éléments autobiographiques. Mais pour la pudeur, c'est assez vrai. Je garde pas mal à l'esprit que le prisme de l'art fait que je ne suis pas là pour raconter ma vie. C'est une bonne chose d'ailleurs parce que ce ne serait pas très intéressant. La littérature, la poésie, tout ce qui m'intéresse par ailleurs, fait appui, mais pas plus que chez n'importe qui. D'ailleurs, c'est souvent à postériori que je me fais la réflexion : "Tiens cette chanson répond à ce livre que j'ai lu il y a six mois". Cela avait fait son chemin en moi sans que je m'en rende compte.
 
La pudeur est aussi nichée dans le fait de raconter des personnages plutôt que soi, "je" est un autre ?
Oui, je me sens légitime à prendre en charge un certain genre de récit. Ça me convient de chanter à la place d'un autre qui n'a pas de voix ou de micro. Les personnages des chansons sont un peu comme des silhouettes. Ils ne sont pas décrits, leur sexe n'est pas défini, ce sont comme des masques blancs de théâtre auxquels il arrive des choses avec quelqu'un qui en prend note. C'est vrai que ça m'est assez difficile d'imaginer quelqu'un vraiment, qui s'appellerait untel, qui aurait telles habitudes... ça ne me vient pas du tout.
 
La disparition semble être une obsession : le temps qui passe, le chemin qui va ailleurs, les ruines, même la disparition du mot dans l'écriture...
C'est vrai. Mais j'ai du mal à savoir d'où vient cette obsession. Je pense qu'il y a quelque chose de l'ordre de l'expérience de la mer, de tout ce qui s'y plonge et disparaît dans les abysses. J'adore voir les choses dans la transparence de l'eau. Même si c'est un caddie de supermarché jeté dans le port. Quand je vois au fond de l'eau des cailloux, des canettes ou un vélo, immédiatement ils sont propulsés chez moi à l'image de vestige inatteignable, comme si je regardais dans le passé. L'océan pour moi, c'est un peu du temps en liquide avec un présent en surface et un passé en profondeur.
 
Bertrand Belin Parcs (Cinq7) 2013
En concert le 29 mai à la Gaîté Lyrique (Paris) et en tournée dans toute la France
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