Brigitte Fontaine, toujours libre

 Brigitte Fontaine, toujours libre
Brigitte Fontaine © Thomas Bartel

A 74 ans, l’indémodable Brigitte Fontaine commet un nouvel album, J’ai l’honneur d’être : un disque bouillonnant de musique, de créativité, d’enthousiasme et – bien sûr – d’un grain de folie. Rencontre avec la diva au look de libellule, au cœur de Paris, sur l’Ile Saint-Louis.

Un puzzle : il faut chercher Brigitte Fontaine au travers des pièces qu’elle livre, éparses, des pièges qu’elle disperse, au creux de ses silences, de ses respirations, au flow lent de son discours, dans ses esquives d’explication, jusque dans ses grognements – "personne ne me comprend plus, je fume trop..." Aux questions, elle se suspend, laisse planer un temps infini, avant d’étirer un sourire à malices, préambule à trois mots pesés…

Et puis, il y a ses digressions, ses bagues à chaque doigt (météorite, argent, or blanc, saphir, toc), ses regards accrochés sur un passant, la coupe aperçue d’un beau manteau… Dans ce joyeux fourre-tout, il y a bien sûr des pièces maîtresses, ce lieu où elle nous donne rendez-vous, par exemple, le café Les Fous de l’Ile, sur ce petit bout de terre, l’Ile Saint-Louis : son cocon depuis des temps immémoriaux.

Dans ce quartier du cœur de Paris, flottant sur la Seine, Brigitte change d’appartements, "comme l’on changerait de chambre dans une maison"… Pour rien au monde, elle ne quitterait son havre, qu’elle décrit, via les hasards heureux de son écriture, dans une troisième chanson consacrée à l’Ile Saint-Louis, L’Ile au cœur d’enfant, sur son dernier album. "J’aime son côté innocent, candide, sans punition. À part, bien sûr, quand pullulent le week-end, ces cochons de touristes…" Rien à faire : Brigitte leur marche dessus, les pousse, leur donne des coups, au cri triomphal de "US Go Home !"

Un disque retardé

Pour l’heure, le silence et la pluie planent sur cette fin d’été désertée. Lady Fontaine trépigne d’impatience de présenter son dernier disque, J’ai l’honneur d’être. Tout court. Telle qu’elle. Sans fioriture, mais avec cette coquetterie sans âge : "Il faut s’en montrer digne". Depuis trois ans, la majorité des textes de ce nouvel opus piaffaient dans ses tiroirs.

Les besoins marketings en décidèrent autrement. Malgré le refus obstiné de la chanteuse deux mois durant, son ancien label, Polydor, s’entête à sortir un album de duos. De guerre lasse, Brigitte accepte. C’est L’un n’empêche pas l’autre (2011), avec Higelin, Christophe, Arno, Bertrand Cantat, Grace Jones, etc. Et… rien. Au rendez-vous, nul succès. La colère affleure. Brigitte claque la porte, pour sortir ses réalisations chez Universal Jazz. Quelques délais supplémentaires la rendent folle de rage et de chagrin. Mais le voici enfin, J’ai l’honneur d’être, "ce disque proche de moi, dans mon cœur, peut-être plus explicite que les autres…"

Les surprises de l’écriture

Car dans les carcans imposés par la vie, Brigitte retrouve sa liberté originelle par l’écriture, devant la page blanche, mue par un appétit féroce, un désir pressant, la passion. Au fil du jeu, d’un "je" qui se conte au détour des mots, le verbe charrie son lot de surprises, emmène l’auteur vers d’improbables rivages.

Ce sera, pour J’ai l’honneur d’être, un texte à fleur de peau sur son père, un hommage, qu’elle ne peut évoquer sans larmes : "Je ne le chanterai pas sur scène : trop d’émotion", confesse-t-elle. Il y a aussi cette vanne, ce bon mot qu’elle déroule, Au Diable Dieu, dans une ritournelle joyeusement anticléricale. Quant à la truculente J’aime, elle égrène la litanie de ses petits plaisirs et grandes aversions, comme le café au lait : "Cette nourriture ignoble : horrible, horrible, horrible".

La magie Areski

Comme la Pythonisse de sa chanson, l’artiste paraît, au long de son œuvre, rendre des oracles avec ses mots, dévoiler ce qu’elle cache, en une fulgurance : "Je passe rarement plus d’une heure sur un texte. Puis je retouche le lendemain". Elle tend ensuite la feuille à son complice, son arrangeur de toujours, son mari Areski Belkacem, qui met en musique ses vers, révèle, comme un photographe, ses chansons. "Il me surprend souvent, mais toujours il me séduit. Il ne discute pas mes textes. Je ne discute pas ses musiques."

Sur l'album, il signe tout, à l’exception de deux titres, La Pythonisse et Les Crocs, concoctés par l’ami Jean-Claude Vannier, l’un de ses "chouchous" musicaux.
Enfin, pour incarner ses fantasmes à l’écran, la diva a fait appel à un copain, Enki Bilal. Le cultissime dessinateur réalise en effet, le clip de Crazy Horse, premier single de son disque : "Pendant le tournage, j’étais ivre de fatigue et d’enthousiasme. Ce sera merveilleux…"

Et Brigitte de digresser à l’envi, car tout commence et tout finit ainsi… Sur sa hantise obsessionnelle des plateaux TV, sur sa lecture enthousiaste des 1001 Nuits, traduite par Joseph-Charles Mardrus, sur l’écriture d’une série noire pour Flammarion (Les Hommes préfèrent les Hommes). Sur le film Brigitte Fontaine, reflets et crudités, aussi, que prépare son biographe Benoît Mouchart (auteur de Brigitte Fontaine, Intérieur/Extérieur, Castor Astral, 2011), à paraître au cinéma Le Nouvel Odéon, le 2 octobre.

Elle n’y parle pas d’elle, ou alors par détours, des flashs de ce qu’elle aime, de ce qu’elle est, de ce qu’elle hait. Brigitte, aussi impressionniste qu’impressionnante : sans doute son "honneur d’être". 

Brigitte Fontaine J’ai l’honneur d’être (Universal Music Jazz) 2013.
Projection Brigitte Fontaine, reflets et crudités à la Gaîté Lyrique, le 25 septembre 2013

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