Grand Corps Malade, question d’équilibre

Grand Corps Malade, question d’équilibre
Grand Corps Malade © Julien Mignot

Avec Funambule, Grand Corps Malade, en équilibre sur les multiples facettes du monde, confirme l’essence de son art : le goût des histoires, des mots habiles et des émotions perçues par le prisme de son regard. Pour ce quatrième album, ponctué de duos avec Sandra Nkaké, Francis Cabrel et Richard Bohringer, le slameur le plus célèbre de l’Hexagone a fait appel aux talents de compositeur et d’arrangeur du trompettiste libanais Ibrahim Maalouf. Un beau disque, où le personnel acquiert une dimension universelle…

Regard azur limpide, sourire sincère et contagieux, élocution sans fausse note, mots d’un homme droit dans ses bottes : Fabien Marsaud, a.k.a Grand Corps Malade, paraît être ce qu’il convient d’appeler un garçon "équilibré". Tel un "funambule", le titre de son album en forme de clin d’œil humoristique, l’artiste cultive sur le fil, comme il le slame dans la chanson éponyme, l’alchimie des contraires, l’ombre et la lumière, le sérieux et la blague, le yin et le yang…

Aux vertiges du succès, à ses faux-semblants, il ne saurait céder : "Je garde le cap vers l’essentiel, en marge de ma carrière : les potes, la famille, les fondations de ma vie…"
L’une de ses matrices ? L’écriture, bien sûr. Il y a un an, ce pionnier du slam publiait un ouvrage, Patients*, à vocation autobiographique, dans lequel il relatait, avec autodérision et tendresse, son séjour en centre de rééducation, au sein de cet univers du handicap lourd.

Aux côtés de cet unique format long, exercice inédit en prose, l’homme continue inlassablement d’écrire de petits textes en vers, "entre 2’30 et 4’30" : "des poèmes, ou des textes de rap si tu les scandes sur le beat."

Un angle original

Ainsi, lorsque Grand Corps Malade décide de créer un nouvel album, il n’y a plus qu’à piocher. Pour le choix d’une quinzaine de titres, l’artiste privilégie d’abord la variété des thèmes : un éventail d’émotions. Il y a d’abord les textes "techniques", comme J’ai mis les mots ou Les lignes de la main, des variations virtuoses, qui entrechoquent les sens et les sons, un jeu de jongleur auquel se prête avec gourmandise Grand Corps Malade.

Il y a ensuite les textes autobiographiques, intimistes, tel Le Manège, où le slameur part du carrousel sur lequel tourne son fils ("Celui de la mairie de Saint-Denis, je te jure j’y ai passé des heures !"), pour évoquer le temps qui passe, cette grande "horloge du monde". Il y a aussi ceux à visée universelle : Au Théâtre, qui décrit le cours d’une vie, ou l’amoureux Te Manquer… Il y enfin la vie des autres, comme Le bout du tunnel, où l’artiste conte l’existence, en forme de roman noir, de Laurent, un prisonnier qu’il a côtoyé lors d’ateliers en maison d’arrêt, sorti de ses affres par l’écriture. "Aux thèmes déjà traités 1000 fois, je tâche toujours de trouver un angle original, une métaphore imprévue", explique-t-il.

Surtout, les textes de Grand Corps Malade s’assimilent toujours à de petites histoires, de véritables scénarios : "De nombreux chanteurs et rappeurs écrivent bien, utilisent, comme on dit dans le rap, de belles 'punch lines', mais à la fin, tu te demandes : 'de quoi parlent-ils ?' Je ne suis pas adepte de la pure forme. Comme dans les créations de mes illustres modèles, Brassens ou Renaud, j’aime les histoires, avec une introduction, un développement et une chute implacable…"

La musique d’Ibrahim Maalouf

Pour habiller ces scénarios, il faut ensuite les mettre en musique, élaborer une bande originale, apposée sur les images que suscitent ses mots. Lors de son dernier album, 3ème Temps, l’artiste avait sollicité de nombreux compositeurs. Pour Funambule, il souhaitait l’unité. Il suffira d’une rencontre : celle d’Ibrahim Maalouf. "Je l’ai croisé la première fois lors de son spectacle Alice au Pays des Merveilles, avec Oxmo Puccino, se rappelle Fabien. J’ai adoré sa façon de faire sonner hip hop, un orchestre symphonique !".

En toute spontanéité, il transmet donc ses textes au trompettiste libanais, avec cette seule consigne : "ne pas hésiter à apporter de la programmation, à assumer des beats plus électro, plus lourds, plus hip hop que dans mes albums précédents…" Minutieusement entrelacée à la poésie et à la voix posée de Grand Corps Malade, Maalouf coud une BO sur mesure à la plupart des chansons, réalise et arrange les autres. En résulte une musique subtile, qui s’accorde avec la plus grande pertinence à la poésie du slameur.

Le goût des duos

Enfin, pour donner une orientation polyphonique à ses aventures, Fabien a convié d’autres artistes, pour de beaux duos. Sur Te Manquer, la voix soul, funk, au groove si évident, de Sandra Nkaké lui donne la réplique en anglais. Aux antipodes, un accent chantant, une prosodie reconnaissable entre mille, lui répond dans La Traversée, une histoire de terrasses de bar dans un village, de courbes du soleil, et d’une jolie fille : c’est Francis Cabrel. "Ce duo est né lors des rencontres d’Astaffort, qu’il organise chaque année, une résidence pour auteurs-compositeurs-interprètes …" Enfin, il y a Course contre la honte, un texte engagé, plein de questions sur l’avenir, en forme de dialogue avec Richard Bohringer, qu’il surnomme affectueusement "Tonton". S’y lit une belle histoire d’amitié et de tendresse entre les deux hommes…

Parti pour RFI-Planète Radio à Kinshasa, pour un concert début 2013, Grand Corps Malade se rappelle ses textes repris en cœur par des milliers de fans. Les mots du slameur dépassent désormais allègrement les frontières. Sûrement une histoire de sincérité. De bel équilibre.

Grand Corps Malade Funambule (Believe Rec) 2013
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Grand Corps malade

*Grand Corps Malade, Patients, Don Quichotte, Non Fiction, Oct. 2012