Vincent Delerm, histoires d’amour
Deux ans après avoir interrogé l’enfance dans son spectacle Memory, Vincent Delerm nous revient décryptant tendrement la relation amoureuse dans le cinématographique Les amants parallèles, son cinquième album studio. Rencontre avec l'artiste.
Ça commence comme dans un film. Vincent Delerm plante le décor. Un avion atterrit dans la neige, tout est chronométré, les minutes, les soirs. Un homme vient de rencontrer une femme et sait déjà que cette rencontre n’en restera pas là. En à peine plus de 30 minutes et en treize épisodes, alternant chansons et instants racontés (avec les participations de Rosemary Standley du groupe Moriarty et Virginie Aussiètre), vont se dérouler à notre oreille, les étapes d’une histoire d’amour sur plusieurs années.
A notre oreille, mais aussi sous nos yeux, de façon fantasmatique. Car, au-delà des photos personnelles du chanteur qui illustrent le livret, la pochette en noir et blanc et le titre, déjà, interpellent. Les Amants parallèles auraient pu s’appeler Un homme et une femme, ne peut-on s’empêcher de penser. "Je vois très bien parce que dans Un homme et une femme, il y a beaucoup de fragments de choses : dans la musique de Francis Lai (hormis "Chabadabada..."), dans tout le thème du morceau Plus fort que nous, il y a un truc qui prend. C’est joyeux, et en même temps, ça renvoie à des trucs plus compliqués… Ce mélange-là, passer d’une émotion à une autre, c’était un truc important pour moi."
A tel point qu’on imaginerait volontiers leur auteur transposer l’histoire en images bien réelles, alors que lui non. "Ça joue sur les codes du cinéma. Même dans le son, on était dans cette idée. On a raisonné comme si c’était une bande originale. Les voix de la narration agissent comme pour recentrer l’intrigue, et permettent de la situer comme une voix off de cinéma. C’est curieux parce que j’ai toujours fait des trucs qui flirtent avec ça : le premier album était déjà dans une ambiance similaire, avec les chansons sur Fanny Ardant, Trintignant. J’adore ça. Ça m’intéresse de créer cette sensation : ce serait fait pour le cinéma, sans y aller. Les gens complèteraient avec leur imaginaire, comme dans un cahier de coloriages. J’y ai pensé pour la scène, mais je me suis très vite rendu compte que ça ne fonctionnait pas, car il y a déjà beaucoup d’images formulées dans les textes."
Le paysage sonore en décor
On observe comment l’histoire se construit, les maladresses du début de la rencontre (Le Film), le moment où "les choses de la vie d’avant/ont disparu dans le vent" dans un texte qui bascule du passé au présent (Bruit des nuits d’été) à l’endroit où deux personnes, dont les chemins n’ont rien à voir, s’unissent. Puis arrive l’étape des premiers souvenirs en commun (Et la fois où tu as), celle du couple qui attend l’arrivée d’un enfant (Ces deux-là).
La voix est posée, plus sereine que sur les albums précédents, créant une ambiance intime pour mieux servir une histoire intime. "Ma voix a toujours un peu évolué entre chaque disque. Là, on est dans le ton de la confidence, d’une discussion en tête à tête, comme quand on parle très tard avec quelqu’un, dans une sorte de demi-sommeil. Ce moment où on est un peu à fleur de peau et on ne sait pas déterminer si c’est bien… Je pense qu’à pas mal d’égards sur l’histoire du couple, il y a des moments où on ne sait pas si c’est positif, joyeux, ou le contraire. Je voulais être dans ce truc un peu trouble, et il fallait que ce soit avec une voix assez unie sur le disque et assez douce à l’oreille."
Au cœur même des chansons, en accompagnement ou en alternance avec les textes parlés, la place belle est laissée à ce qu’on se figure comme l’instrument de prédilection de Vincent Delerm, le piano. Alors que l’intention de départ était de le mettre de côté, il est utilisé ici de la façon la plus exhaustive qui soit, sous la houlette de Clément Ducol et Maxime Le Guil.
Toutes les sonorités en ont été exploitées jusqu’à ce qu’il reste l’unique instrument de l’album, sous sa forme courante ou "trafiquée" : " Je voulais au départ utiliser plus des guitares, ou des synthés, des claviers, pas le son 'piano, piano'. Clément et Maxime sont arrivés là-dessus avec une proposition spontanée. Ils m’ont filé une petite maquette, qui est le dernier titre de l’album et qu’on a d’ailleurs laissé tel quel. C’était du piano sans ressembler au piano tel que je l’avais utilisé jusqu’à présent. J’adore le côté organique du piano. J’écris les chansons en les jouant sur un piano droit avec la pédale d’appartement, donc avec un son très feutré. On retrouve ce son sur l’album, où toutes les rythmiques sont très feutrées".
Du noir et blanc des touches du piano à celui des images que chacun saura se projeter selon ce qu’il y entend, c’est avec bonheur qu’on franchit le pas. Avec son grain de son "ténu", et sa vision romancée de ces Amants parallèles qui nous font vivre avec eux chaque moment, gravir chaque échelon de leur rencontre amoureuse, Vincent Delerm nous livre son album le plus cinématographique certes, mais sans aucun doute aussi le plus réussi.
Vincent Delerm Les amants parallèles (Tôt Ou Tard) 2013
En concert du 4 au 29 mars au Théâtre Dejazet à Paris
Page Facebook de Vincent Delerm