Louis-Philippe Gingras, chansons pour rire et pour pleurer

Louis-Philippe Gingras, chansons pour rire et pour pleurer
Louis Philippe Gingras © Julie Gauthier

De la région à la ville, de l’humour à la tristesse, et d’un genre musical à l’autre, l’auteur-compositeur-interprète Louis-Philippe Gingras nous convie à un émouvant voyage autobiographique (et linguistique) en terre québécoise. Retour sur Traverser l’parc, son album de chansons folk-country-rock intimistes qui vient de paraître au Québec.

Entre l’Abitibi natale de Louis-Philippe Gingras et sa Montréal d’adoption se dressent près de 8 heures de route. Pour effectuer ce trajet, il faut plonger pendant quelques heures dans une immense étendue forestière, nommée le parc de La Vérendrye. Ainsi, Traverser l’parc, le premier opus du guitariste-chanteur de 29 ans, est une riche et personnelle collection de tableaux doux-amers qui retracent d’une part son "immigration" à Montréal, mais aussi tout le (tumultueux) chemin parcouru au cours des dernières années.

Et cette traversée du parc s’effectue avec humilité, autodérision et un franc-parler très québécois. Le tout, avec pour guide une guitare parfois délicate, parfois acérée, aussi à l’aise dans le folk américain que dans le rock ou la country.

Du jazz à la chanson

Très tôt, Gingras se passionne pour la guitare et part apprendre le jazz à Montréal, où il occupe un emploi étudiant marquant. "Je sollicitais des fonds pour des organismes comme OXFAM. J’ai tenu quatre ans, quasiment le record national ! plaisante-t-il. Le fait de parler tous les jours, de toucher les gens par la parole me manquait quand je suis rentré en Abitibi après avoir arrêté le jazz. Et tout est sorti en paroles."

Il se met alors à créer seul, en mode guitare-voix, les chansons folk qui composent son premier maxi Salut man (2012). S’il se remet parfois au jazz pour le plaisir, Gingras ajoute, pince-sans-rire : "Tu sais, le jazz ce n’est pas comme le becyk [bicyclette]. Ça se perd !" Ce qui ne l’empêche pas de continuer à créer spontanément et sous contrainte avec la troupe d’improvisation humoristique Les Volubiles, ou de composer des musiques de film (Alex marche à l’amour) dans ses temps libres.

Pour concevoir le maxi, duquel découle directement l’album complet, Gingras s’allie à une figure marquante du folk québécois : le musicien et réalisateur Dany Placard. "C’est un vrai papa, il pense vraiment à tout !", s’amuse l’artiste, en expliquant la façon dont il lui rappelle de replacer sa barbichette lors d'un spectacle.

"Musicalement, il a apporté une dimension plus trash, plus garage. Je pensais à une contrebasse, mais il a apporté sa basse électrique pour un son plus rock. J’ai même eu peur que ça devienne un album punk, à nous entendre au studio !", se souvient-il, en riant. C’est de cette fructueuse collaboration que sont nées les chansons plus musclées de Traverser l’parc, comme Bucksaw, celles qui surprennent quiconque s’attend à un album purement chanson folk.

Mais avant de faire paraître ce premier disque, le guitariste a choisi de mettre ses compositions sur le banc d’essai au Festival en chanson de Petite-Vallée, en Gaspésie. Vite repéré parmi la génération de "chansonneurs" québécois (celle qui a pour guides, Bernard Adamus, Lisa Leblanc ou, plus récemment, Keith Kouna), Gingras obtient un franc succès.

Arrivé avec Andromède, J’ai quand même le droit de te chanter du country, Fortune cookie et Gatorade (toutes sur Traverser l’parc), il rafle plusieurs prix. L’expérience et les ateliers suivis s’avèrent enrichissants et lui permettent de travailler la mise en scène, l’interprétation et l’introspection.

Des textes révélateurs

Depuis la sortie automnale de son album, Gingras se produit en groupe. "Jouer avec les 'boys', ça donne un petit écran, un paravent. Quand t’es seul sur la scène, tu te sens un peu nu, surtout avec des textes aussi personnels." Mais même en formule groupe, ses chansons ont quelque chose d’authentique qui va droit au cœur.

Et comme si ses textes n’en révélaient pas assez sur lui, le musicien a décidé de se livrer encore davantage dans le livret du disque, où les paroles écrites à la main sont suivies de notes sur leur contexte d’écriture. "J’ai voulu laisser le monde entrer dans ma bulle. C’est important pour moi de situer la chanson dans ma vie, et j’ai décidé d’inclure l’info, comme une petite porte."

Mêlant autobiographie et anecdotes fictives, le monde de Gingras se révèle par comparaisons inusitées, métaphores plus graves ou calembours. Parfois, pour dédramatiser, il enrobe l’ensemble d’une dose d’humour très "chanson paillarde". Sa plume aiguisée s’intéresse à l’amour, aux départs, au quotidien, mais aussi aux conséquences de la maladie dont il souffre, la bipolarité. "Sur l’album, je ne dis jamais : 'salut, je suis bipolaire', mais c’est certain que j’en parle. À soir, bebé est probablement la plus dépressive chanson que j’ai écrite de ma vie. Quand je dis : 'J’me sens comme la plante qui pousse dans ton salon'… J’avais besoin d’eau, j’étais enfermé, c’était le néant. Mais c’est aussi une chanson que j’ai écrite pour pouvoir en rire." Il raconte n’avoir pas cessé d’écrire malgré 3 hospitalisations en 2 ans : quelques chansons ont même été écrites en cachette à l’hôpital, en dépit de l’interdiction de posséder un crayon…

Qu’elles accompagnent les jours tristes ou les jours heureux, les chansons de Louis-Philippe Gingras sont peuplées d’images fortes, d’expressions bien québécoises et d’influences américaines variées, de Nashville à la Nouvelle-Orléans ou Honolulu. Sans pudeur, elles révèlent un jeune artiste prometteur qui devrait faire couler beaucoup d’encre en 2014.

Louis-Philippe Gingras Traverser l’parc (Simone Records) 2013
Site officiel de Louis-Philippe Gingras