Dick Annegarn, un chansonnier dans le texte

Dick Annegarn, un chansonnier dans le texte
Dick Annegarn © G. Rivière

Quand on rencontre Dick Annegarn, il revient d’une saison passée au Maroc, son autre terre d’accueil. Alors qu’il publie un nouveau disque, Vélo va, et qu’il s’apprête à fêter ses 40 ans de carrière sur scène, le chanteur "nolandais" remonte le fil de son écriture. Promenade dans une conversation au cours de laquelle Dick A. aura discuté de sa vision d’un "vélo social", évoqué son village, la culture berbère ou ce développement durable qu’il croque dans ses chansons tendres, définitivement pleines de poésie.

RFI Musique : Comment est né ce nouvel album ?
Dick Annegarn :
Vélo va, ce n’est pas un concept album, c’est une cohérence poétique. Au départ, c’est un disque de chansons que j’avais imaginées pour les autres. J’avais proposé Prune et Oracle à Raphael, Karlsbad à Nosfell, Piano dans l’eau à Nosfell et à Raphael, il y a aussi un titre écrit pour Calogero qu’on a enregistré, mais qu’on n’a pas mis sur ce disque. Depuis trois-quatre ans, je reçois plein de propositions, on me demande en tant qu’auteur, on m’a même proposé de chanter Brel avec l’orchestre Lamoureux, et souvent, il faut le dire, c’est un échec. Je me rends compte que je suis trop moi et ceux qui m’ont sollicité s’en rendent compte aussi. Donc, j’ai utilisé les chansons écrites pour les autres en me les accaparant. C’est quand on m’invite à avoir un autre rôle, que je deviens plus "moi". "Je est un autre", comme dirait Arthur ! (Rimbaud - NDLR)

Comment est venu ce nom, Vélo va ?
La clé de voute de cet album m’a été inspirée par Freddy Koella (guitariste de Francis Cabrel, Bob Dylan, et artisan des derniers albums de Dick Annegarn –NDLR) qui est venu dans ma campagne avec un disque de Bourvil. Il me dit : "On va faire ça ! T’es le dernier à faire du Tati dans la chanson française !". Je lui dis : "Bon, Tati, Satie, si tu veux." J’étais un peu gêné parce que Bourvil, ça fait quand même quarante ans qu’il est mort et après, voilà que ce Freddy s’amène avec des musiques. Je n’avais jamais écrit sur les mélodies de quelqu’un d’autre, j’ai été vexé. Il m’a donc sorti ses musiques en me disant : "T’en fais ce que tu veux !" En une nuit, Vélo va était fini, alors qu’il me faut des mois pour mettre au point une bonne chanson. Il manquait Bourvil, une chanson joyeuse.

Beaucoup de chansons sont assez tristes sur ce disque. Vous aimez ce sentiment de tristesse ?
Ah ! mais je cultive ça, bien sûr ! Le côté germanique ou le côté russe de ma culture cultive les veillées funèbres, la poésie ou la littérature qui détaille ce sentiment de tristesse. La tristesse, ce n’est pas seulement : "Oh, j’ai pas le moral !" mais plutôt "J’ai pas le moral et comment ça se ressent aujourd’hui". Je vis seul et donc, de temps en temps, cette tristesse me convient très bien ! C’est une paix ! Je n’ai pas besoin d’être joyeux ! J’accepte une certaine langueur, une certaine fatalité aussi. Mais je n’aime pas seulement ma tristesse, j’aime voir la tristesse des autres. En Toscane, les femmes ont toute la tête inclinée, comme dans les tableaux de Modigliani, elles ont pitié de leurs enfants, elles ont pitié d’elles-mêmes. C’est un sacrifice, le sacrifice de la vie.

Par opposition, vous gardez toujours votre sens de l’humour…
C’est de l’humour triste. L’humour a quelque chose de morbide, de toute façon. On rit avec son malheur. (sourire)

Est-ce que vous avez besoin d’écrire ?
Non ! D’ailleurs, je n’écris que dans une contrainte rythmique, de chanson. J’écris des pièces de théâtre, mais je ne suis pas un écrivain, un poète, je suis un chansonnier. C’est une horlogerie à laquelle je tiens et j’insiste là-dessus : c’est beaucoup plus difficile d’écrire de la chanson que du slam, de la poésie, ou que de faire du jazz ! On est libre, mais avec beaucoup plus de contraintes. Ma liberté et la liberté de la langue française sont réduites, le français est incomplet. En langue berbère, il y a par exemple, beaucoup de mots pour dire "faire le berger". En français, il n’y a pas de verbe pour cela. Je cherche donc des combinaisons où, entre deux mots, on s’en imagine un troisième.

Vous célébrerez vos 40 ans de carrière à l’Olympia. Quel regard portez-vous sur votre itinéraire ?
Je considère que la boucle est un peu bouclée. Même s’il y a eu un grand trou au milieu, je ne suis pas malheureux du chemin parcouru, j’aime bien ma vie. Je n’ai heureusement pas eu le handicap social d’avoir été chanteur pendant 40 ans, il me manque quelques trimestres pour ma retraite. Ce que j’ai fait, ce n’est pas seulement l’avenir des intermittents du spectacle, mais de tout le monde, c’est-à-dire d’avoir une carrière accidentée, des changements de cap, des voyages. En gros, je récolte aujourd’hui ce que j’ai semé il y a quarante ans. "A thing of beauty is a joy forever." ("Tout objet de beauté est une joie éternelle -NDLR ). Quand on écrit une belle chose qu’on laisse couver dans une petite serre, on peut disparaître, elle va se reproduire toute seule. Il suffit de soigner ce que l’on fait au départ. Si la graine est belle, on récolte les fruits de son arbre.

Dick Annegarn Vélo va (Tôt ou tard) 2014
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