L’auteur-compositeur-interprète montréalais Philippe B est de retour avec Ornithologie, la nuit, un nouvel album de chansons nocturnes et introspectives qu’il estime toutefois plus lumineux que son prédécesseur, Variations fantômes. Rencontre avec un créateur polyvalent qui s’impose sans cesse des contraintes pour aller plus loin.
"J’écris la nuit. Je ne me mets à travailler qu’à 10h du soir, et il faut vraiment que je n’aie rien fait de la journée" raconte Philippe B, à mi-chemin entre l’autodérision et le plus grand sérieux du monde. "Je regarde le mur, j’essaie, j’arrête, j’y reviens… J’ai besoin de beaucoup d’espace vide autour pour réussir à faire deux heures d’écriture où ça se passe pour vrai."
Ses nouvelles chansons ne lui auront pourtant pris que six mois à composer, dans ce précieux "espace" entre les multiples autres projets qui l’occupent. Des collaborations (avec Pierre Lapointe, par exemple, dont il était le guitariste jusqu’en 2010), des bandes originales de films (
Chasse au Godard d’Abbittibbi), mais aussi – et de plus en plus –la réalisation d’albums d’autres artistes. On pense aux Sœurs Boulay et à Groenland, deux noms qui circulent beaucoup au Québec ces jours-ci, tout comme à
Isabelle Boulay, dont il a récemment réalisé l’album-hommage à
Reggiani.
"Faire de la musique pour les autres, c’est vraiment un challenge ! Surtout pour les albums d’interprètes, où le réalisateur fait presque tout. C’est certain que je préfère le songwriting… être un peu le dictateur…", ajoute-t-il en éclatant de rire, avant de poursuivre sur un ton plus méditatif : "Mais je pense que si je ne faisais pas tous ces autres projets, mes disques seraient moins solos. C’est parce que je travaille avec tous les autres que ça fait du bien de redevenir plus seul pour mes albums". C’est ainsi que 3 ans après Variations fantômes et 9 ans de carrière solo, est né Ornithologie, la nuit, un recueil de 14 chansons en français qu’il a composées, écrites, arrangées et réalisées, en plus d’y chanter et d’y jouer de la guitare et des claviers.
Ornithologie, la nuit
Composée dans la noirceur, et titrée bien sûr avec un clin d’œil à l’expression "oiseau de nuit", la quatrième parution de Philippe B traduit pourtant une intention d’aller vers la lumière, tant par ses textes plus humoristiques que par ses arrangements. "Je penche naturellement vers le pathos. Avant de créer l’album, je savais que faire plus léger, avec humour, allait être plus dur, mais je trouvais le défi intéressant."
Sans avoir radicalement changé ses méthodes d’écriture, et continuant à employer le "je" de l’autofiction, l’auteur a conçu une progression vers le positif, la résolution, la guérison. Mais même dans ses chansons de "joie", le doute et le cynisme qui ont fait sa marque, ne sont jamais loin. "Ça reste moi… et je ne suis pas un jovialiste !", lance celui qui, dans Nous irons jusqu’au soleil, chante "Si nos ailes font défaut/Nous tomberons de haut".
Très volubile quand il est question de chanson française ou américaine – peut-être est-ce le réalisateur musical en lui qui parle –, Philippe B a un regard analytique sur le travail de ses contemporains, notamment les techniques d’écriture de
Vincent Delerm.
"J’aime quand on part de l’anecdote, de tout petits détails, pour faire quelque chose d’universel".
Il cite aussi Leonard Cohen et plusieurs autres, sans non plus hésiter à décortiquer ses propres chansons. L’artiste peut passer beaucoup de temps à expliquer en détail comment un morceau a été créé, couche par couche, nommer ses sources d’inspiration, fournir des exemples de choses qu’il a essayées sans succès, etc. C’est un peu comme s’il donnait à voir la gestation de chaque titre d’Ornithologie, la nuit.
Première-née, L’année du serpent était une commande qui a dicté la voie à suivre pour le reste de l’album. "L’idée était très proche de Variations fantômes, c’est-à-dire un emprunt à la musique classique, mais cette fois sans échantillonnages. Comme Le sacre du printemps (œuvre d'Igor Stravinski sur laquelle est basée L'année du serpent - ndlr) est une œuvre bizarre, agressive, atonale, il n’y avait pas grand-chose que je pouvais prendre, alors j’ai choisi une ligne mélodique à la clarinette basse et composé une chanson qui pouvait accommoder ce motif." Cette démarche l’a poussé à mettre en valeur les instruments à vent et a donné le ton au reste de l’opus, dans lequel il a ensuite intégré la voix de deux choristes. "Des fois, les contraintes, c’est payant !", ajoute-t-il, visiblement satisfait.
Ses textes ont beau être très travaillés, ils demeurent pour la plupart assez brefs : les mots de Philippe B "respirent" dans la chanson. "Si je te demande d’écrire le meilleur haïku au monde, ce ne sera pas plus facile que d’écrire deux pages ! Faire une chanson avec seulement une petite phrase, toute seule et très exposée, ce n’est pas simple." Et dans Ornithologie, la nuit, elles sont d’autant plus dépouillées qu’il n’y a pas de batterie.
Il se garde aussi d’employer des références précises qui associeraient les paroles à une époque, les fixeraient dans le temps. "Je ne parle jamais de textos et je ne cite pas de films de 2012. Plusieurs jeunes chanteurs cool et bien de leur temps le font déjà très bien ! ajoute-t-il en riant. Mes chansons se passent à Montréal, mais on pourrait bien être en 1972…"
Philippe B Ornithologie, la nuit (Bonsound) 2014
Site officiel de Philippe B