Isabelle Boulay célèbre son modèle

Isabelle Boulay célèbre son modèle
Isabelle Boulay © DR

Près de dix ans après la disparition de Serge Reggiani, Isabelle Boulay s'aventure dans le répertoire de l'inoubliable chanteur français. L'interprétation sensible de la Québécoise et les arrangements aussi bien sobres qu'inventifs de Philippe B et Benjamin Biolay font que ces reprises n'ont rien de l'hommage au rabais.

RFI Musique : Depuis quand cette idée vous trottait-elle dans la tête ?
Isabelle Boulay : J'ai toujours beaucoup été touchée par son répertoire. Dans mes spectacles et mes albums précédents, j'avais repris Le petit garçon et Ma fille. Au printemps dernier, les chansons de Reggiani jouaient à l'intérieur de moi. Elles ne quittaient pas mon esprit. Je suis allée au concert de Cœur de Pirate à Paris et un couple de ma génération s'approche vers moi et me dit: "On attend vraiment que vous nous fassiez un album entier de chansons de Reggiani".C'était une drôle de coïncidence. En rentrant chez moi, on m'en a encore parlé. Alors que j'étais partie pour faire un album de chansons originales, j'ai fait volte-face.

A quel moment de votre vie l'avez-vous découvert ?
A l'âge de 16 ans. Un ami qui faisait des études littéraires m'a emmené chez lui pour écouter de la chanson française. On s'allonge et il me met du Reggiani. Je suis immédiatement tombée en amour. Les deux premières grandes influences que j'ai eues ont été Piaf et Reggiani. Deux grands artistes réalistes et aux textes très vivants. Ils m'ont donné une direction en tant qu'interprète. Serge Reggiani allait chercher des auteurs qui lui écrivaient de petits films. Sa vie d'acteur l'a beaucoup nourri comme interprète.

Quelle a été votre première émotion à son écoute ?
Je ne me sentais plus seule, mais accompagnée. Pour moi, il est un rempart contre la solitude. Ses chansons ont éclairé ma vie, elles ne me rendent pas triste. J'espère que je fais le même effet chez les gens qui m'écoutent chanter.

Que retenez-vous de votre duo avec lui au Palais des Congrès en 2003 ?
C'est surtout tout ce qui a précédé : le moment où je suis allée chez lui répéter. J'ai été frappée par son niveau d'exigence, sa vaillance. Il était très vigilant, il m'accompagnait. C'est un artiste qui faisait le métier à l'ancienne et comme moi j'aime le faire. Quand je suis allée le rejoindre sur la scène du Palais des Congrès, sa femme était toujours assise en coulisse. Ce qui était formidable, c'est qu'il regardait très souvent vers elle. Il avait fini par trouver son âme sœur. La tendresse entre eux était incroyable. Tout le monde cherche cela dans sa vie.

Qu'est-ce que vous vous êtes dit ?
Il a été d'une courtoisie absolue. Il m'a offert deux toiles, dont une petite avec une rose. D'ailleurs, j'ai voulu que cette rose soit le visuel de la pochette de l'album. Mon geste, c'est de lui renvoyer ce qu'il m'a donné. J'ai fait ce disque pour lui, pour son public et la nouvelle génération. Cela fait partie de mon devoir d'interprète parce que j'ai eu la chance d'apprendre mon métier avec des artistes de cette envergure.

Quel est son degré de notoriété au Québec ?
C'est quelqu'un de très respecté. Il a fait quelques tournées là-bas. Ses chansons les plus connues continuent de passer régulièrement à la radio.

C'est un répertoire d'homme. Est-ce compliqué d'y insuffler une touche féminine ?
J'ai toujours beaucoup aimé interpréter des chansons d'homme. Donc, ce n'est pas nouveau pour moi. Je me sens assez proche de la réalité des hommes, je suis souvent en leur compagnie. J'ai été élevée dans un bar-restaurant où ils étaient bien plus nombreux que les femmes. Je me suis toujours sentie à l'égal d'eux. Il n'y a que Le petit garçon que j'ai féminisé sinon pour le reste j'ai voulu que les chansons gardent leur forme initiale.

Comment s'est opéré le choix des chansons ?
Il y en a dont j'étais certaine. Pour d'autres, je ne me suis pas sentie crédible au moment de les faire. La crédibilité, c'était mon principal critère. Je voulais aussi surtout interpréter les chansons de la dolce vita. Je ne me serais pas vue reprendre Les loups sont entrés dans Paris parce que c'est un exercice de style et donc plus éloigné de ma réalité. Certaines chansons que je connaissais moins comme Les amours sans importance et L'absence m'ont séduite.

Pourquoi n'avez-vous pas repris la déchirante chanson Le temps qui reste ?
C'est sa chanson à lui, son générique de fin. J'ai voulu la lui laisser. Mais je vais m'en servir dans le spectacle avec sa voix à lui.

Avec Benjamin Biolay, vous ne vous quittez plus...
Je ne peux plus faire d'albums sans lui (rires). On a une vraie complicité. Quand Benjamin arrive en studio, je sais que je peux lui remettre les clés du projet. Il sait exactement ce dont j'ai envie. Malgré le fait qu'on travaille ensemble depuis une quinzaine d'années, notre rapport artistique n'est pas figé, on se projette constamment. C'est extrêmement précieux. On a beaucoup de respect l'un pour l'autre.

Philippe B, qui lui aussi ne manque pas de talent, coréalise le disque. Était-ce complémentaire de Benjamin Biolay ?
Benjamin est venu se greffer au projet assez naturellement. Mais c'est vraiment avec Philippe B que j'ai amorcé le disque. Il réalise de façon à la fois très sobre et très proche de la nature de la personne avec qui il travaille. Il a un goût exquis et ne tombe jamais dans la grandiloquence.

Dans votre précédent album Les grands espaces, il y avait déjà huit reprises. N'avez-vous peur de vous enfermer dans cette case ?
Je ne réfléchis pas à ça. Je ne me mets aucune barrière. Dès que j'ai envie d'interpréter une chanson, je fonce. Je vais là où mon cœur me porte. Il n'y pas de calcul chez moi, mais juste un désir profond de liberté d'expression.

Serge Reggiani a d'abord été acteur avant de devenir chanteur. Le cheminement inverse est-il envisageable pour vous ?
On vient de me proposer un film au Québec, mais je n'ai pas encore rencontré l'équipe. Je pense que je pourrais le faire à condition d'être extrêmement bien dirigée. Si Xavier Dolan est intéressé, je veux bien même faire qu'une courte apparition (rires).

Isabelle Boulay Merci Serge Reggiani (Polydor) 2014
Site officiel d'Isabelle Boulay
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