La grande messe noire Fontarabie

La grande messe noire Fontarabie
Julien Mineau, Francofolies de Montréal 2014 © M.-H. Mello

Julien Mineau, le chanteur, guitariste et compositeur derrière le groupe rock Malajube, vient de s’offrir aux Francos de Montréal un moment unique : un spectacle avec orchestre complet sur la Place des arts, durant lequel il a livré pour la première fois sur scène l’intégralité de son album Fontarabie paru en avril dernier. Discussion autour d’un projet parallèle original et ambitieux, sombre et grandiose.

Quand Malajube a annoncé en 2012, l’année suivant la parution de La caverne, une pause d’une durée indéterminée, tous se demandaient ce que les musiciens de la formation québécoise préparaient. Peu de temps après, des albums d’Oothèque (projet du batteur de Malajube, Francis Mineau) et de Jacquemort (celui de son claviériste Thomas Augustin) voyaient le jour… mais le mystère planait toujours autour des occupations de Julien Mineau, le leader du groupe ayant marqué la scène rock indépendante des années 2000. On savait bien que le créateur anticonformiste s’était retiré depuis quelques années à Sainte-Ursule, un village de campagne situé à 1h30 de Montréal, mais que s’y passait-il au juste ? Le chantier Fontarabie.

Il était une fois un lieu

C’est précisément dans la maison rurale de Mineau qu’est née Fontarabie, cette initiative parallèle en solitaire dont il rêvait depuis un moment, sans trop en connaître la forme exacte. Et il a même décidé de la baptiser du nom de sa rue, tant son contexte de création est rattaché à cet endroit bien particulier. Pendant près de deux ans, le musicien dit avoir travaillé environ 12 heures par jour sur son nouveau matériel, à mi-chemin entre la bande originale d’un film d’horreur, le rock, le metal et la musique classique.

L’album Fontarabie contient bon nombre de morceaux instrumentaux, qui se dressent aux côtés de "chansons chantées" rappelant évidemment Malajube. On y retrouve l’aspect noir et sinueux des deux derniers disques de la formation, mais avec moins d’enrobages et de refrains pop. "Les chansons Serpentine et Fontarabie datent de 2009, à l’époque d’Ursuline, parue sur Labyrinthes. Même si elles ont connu plusieurs versions, je trouve ça intéressant qu’elles aient survécu pendant tout ce temps-là, un peu comme une trilogie terminée… 5 ans plus tard", explique le compositeur. À l’exception de Larve humaine, "un sursaut d’humeur plus joyeux, pour respirer", les pistes de Fontarabie semblent avoir été conçues pour une écoute méditative en solo.

Du solo au collectif

Depuis qu’il s’enregistre lui-même, chez lui, Mineau admet s’être constitué un bon réservoir de créations en tous genres. "Certaines des choses que j’ai en banque vont peut-être ressortir dans 10 ans, je ne sais pas ! C’est assez varié : du disco, du métal, de la chanson. En tout cas, quand le disco reviendra à la mode, je serai prêt !", ajoute-t-il en riant, bien sûr. Avec bien peu d’artifices, l’album Fontarabie a donc été créé de A à Z dans ce laboratoire solitaire. "Depuis un certain temps, à la Paul McCartney en solo, je veux faire les choses moi-même, sans préproduction. Tu appuies sur 'record' et tu enregistres tout toi-même. Je n’avais pas envie de réenregistrer Fontarabie en groupe ensuite."

Nées dans l’imaginaire du compositeur, les belles créations parfois bizarroïdes qui forment le disque-ovni ont tout de même été l’objet de plusieurs séances musicales intimes à Sainte-Ursule. Le musicien en a fait un "projet local", sollicitant surtout la collaboration d’amis demeurant à proximité.

Il a fait appel au tromboniste Benoît Rocheleau, qui habite dans un village voisin, et à son voisin Patrick Lavoie, violoniste, de même qu’à un ami montréalais, membre de Timber Timbre : "Durant les deux dernières années, je pense que Simon [ndlr : Trottier, guitariste] a passé au moins un mois chez moi, au total ! estime Mineau, amusé. Il arrivait de Montréal, s’installait pour quelques jours, et c’était toujours imprévu… On a fait des milliers de tracks ensemble." Sans oublier bien sûr sa compagne, Virginie Parr, qui a collaboré à diverses facettes, visuelles et sonores, de l’album.

Évoquer, sans dire

À l’écoute de Fontarabie, impossible de ne pas remarquer la présence du célesta, cet instrument authentique que Mineau dit s’être procuré sur un site de petites annonces. C’est lui qui confère à l’album cet effet "envers de l’enfance" ou "féérie noire" qui peut faire penser aux films de Tim Burton. "C’est vraiment quand j’ai trouvé le célesta que le projet a pris son sens. On le connaît surtout pour des pièces joyeuses, à la Casse Noisette. J’aimais l’idée de créer un contraste en jouant des mélodies en mineur. Ça se mixe bien, l’idée de nostalgie et de film d’horreur, je trouve !"Ajoutons que, pour le concert spécial, l’instrument essentiel datant des années 1800 a été "importé" de Sainte-Ursule à la Place des arts de Montréal, et interprété sur scène par son collègue de Malajube, Thomas Augustin.

Ainsi évocatrices d’une certaine noirceur, donc, les notes du célesta qui traversent l’album sont en grande partie responsables de sa saveur originale. S’y greffent ensuite de brefs textes volontairement ouverts. "J’ai encore créé de belles histoires incompréhensibles", ironise l’auteur, en faisant référence à ce qu’il a souvent lu à son sujet dans les médias.

De toute façon, il confie se diriger de plus en plus vers des morceaux sans paroles, ce qui lui permet de se concentrer sur sa musique et offrir quelque chose de plus universel. "Entendre sa voix, ce n’est jamais l’fun, dans la vie! Y’a peut-être des chanteurs qui trippent sur leur voix, mais pas moi. La musique sans paroles me parle beaucoup plus".
Fontarabie Fontarabie (Dare to care) 2014
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