Dans l'autre Forêt des mal-aimés
Ceux qui ont eu la bonne idée de se rendre au printemps dernier au festival "Les femmes s'en mêlent" ont sans doute été intrigués par la pop expérimentale du groupe Forêt. Porté par le duo Emilie Laforest et Joseph Marchand, ce premier disque éponyme a suscité l'attraction au Québec.
Jusqu'à présent, ils évoluaient plutôt dans l'ombre. Lui, en tant qu'arrangeur, réalisateur, guitariste, a collaboré avec Pierre Lapointe, Ariane Moffatt ou Stéphanie Lapointe. Elle, soprano de formation, a creusé son sillon dans le circuit contemporain et classique. Entre eux, un dénominateur commun, une éthique initiale : la musique. Couple à la ville depuis onze ans, Émilie Laforest et Joseph Marchand ont décidé d'unir leurs forces vives artistiques. Comme une envie logique de retrouver ensemble l'excitation du renouveau créatif. "Depuis un certain temps, on chérissait l'idée de travailler à deux. Cela a été long avant de trouver la façon de le faire et de se rejoindre", explique Joseph.
Poésie
Conscients que le rapprochement de leurs univers respectifs n'a rien d'une évidence, ils avancent d'abord sur la pointe des pieds. Le premier déclic, c'est la découverte par Émilie du recueil de Kim Doré - poétesse célébrée dans la Belle-Province - Le rayonnement des corps noirs. Pour elle, un vrai choc émotionnel. "J'ai été foudroyée par son champ lexical, ses métaphores très fortes, le rapport à la nature. Je me suis alors amusée à composer avec cet outil-là. Puisque j'avais l'impression de jouer dans son âme, j'ai contacté Kim. Elle m'a invitée chez elle pour que je lui fasse écouter. Elle a aimé et m'a dit que plutôt que de mettre ces poèmes-ci en musique autant en écrire de nouveaux".
L'autre locomotive du projet Forêt, c'est François Lafontaine, le claviériste du groupe Karkwa. En possession des maquettes de trois chansons dépouillées, celui-ci pousse le duo à accélérer la cadence. Il sera aux manettes des arrangements. "Il nous a sortis de notre studio de maison", confie Joseph. Et Émilie, qui a fait son bout de chemin de son côté, d'ajouter : "Le plus gros défi pour moi, c'était de trouver ma voix. Je ne la connaissais pas dans le registre pop. Donc il a fallu chercher longtemps. Ce qui m'a plu et où j'étais le plus à l'aise, c'était quand je me trouvais dans une zone d'inconfort vocale".
Harmonies
Le disque de Forêt navigue en eaux troubles. Il privilégie le clair-obscur, l'expérimentation, les sensations. Et inscrit ses pas dans ceux d'aînés imposants mais sans avoir à en rougir. Difficile de ne pas penser à Portishead et plus particulièrement à l'opus Third. Les chansons constituent un énigmatique raccourci vers l'ombre de forêts brumeuses et aux arbres mouvants. Elles hantent l'esprit. Des circonvolutions gracieuses, des arrangements et des harmonies à la précision quasi-chirurgicale, des boucles entêtantes, un chant fragile semblant tout droit sortir d'un rêve vaporeux, des chœurs omniprésents. C'est à la fois contemplatif, sépulcral et éthéré.
Pierre Lapointe a offert un texte (L'amour de marbre) et Ariane Moffatt joue du piano sur Je tombe avec la pluie. "C'est un peu notre frère et notre sœur de musique. J'ai rencontré Ariane à l'école et j'ai bossé avec pendant presque dix ans. Quant à Pierre, on a eu tous les deux des projets avec lui", précise Joseph. Cette volupté carabinée n'est pas toujours facile d'accès. On s'y aventure avec prudence, on y revient troublé. La contagion nous a gagnés.
Forêt, Forêt (Simone Records) 2014
Page Facebook de Forêt
Site officiel de Forêt