Maurane, plus vraie que jamais

Oui, Maurane a enregistré là son album le plus dangereux et le plus beau. Et ce n’est pas uniquement parce qu’elle chante enfin des chansons qu’elle a écrites elle-même. Car, pour reprendre un joli néologisme inventé par Jane Birkin, elle pousse loin l’"oserie". La chanson Trop forte, ainsi, revient sur la vie des femmes qui n’ont pas le poids conforme. Abondamment commentée sur les réseaux sociaux, c’est sans doute une de ces chansons capables de changer la vie de beaucoup de ses auditeurs – et une chanson qui demande beaucoup de courage.

 

On pourra dire qu’il y a dans cet album une confirmation de l’émotivité croissante de nos sociétés européennes, dans lesquelles pleurer ou souffrir n’est plus un signe de faiblesse. Mais Maurane y met un feu, une sincérité et même une grâce qui transforment en monuments des chansons qui, chez d’autres, ne se seraient chantées qu’en majuscules raisonnables – le très lacrymogène Toi c’est différent écrit par Lionel Florence et Pascal Obispo, Ouvre qui donne son titre à l’album…

 

Venue du jazz, Maurane a toujours fait montre d’une impeccable technique vocale, qui a parfois masqué certaines émotions. On peut trouver dans Elle oublie, bouleversant duo avec Bernard Lavilliers, la marque d’une sérénité, d’une certitude dans son art. Dans cette évocation d’une actrice atteinte par la maladie d’Alzheimer – on pense évidemment à Annie Girardot –, ces deux immenses interprètes se dépouillent de tous leurs artifices, après n’avoir pas toujours été très économes au micro jusqu’alors. Et la chanson est magnifiquement prenante, par une sorte d’effet de simplicité qui met à nu l’émotion.

 

Les cinq chansons écrites par Maurane sont évidemment guettées par les fans et la critique, et confirment une âme bien armée pour la création : précision du mot, liberté des images, droite loyauté des mots aux sentiments… Dans un exercice commun à plusieurs interprètes et mères (comme dans quelques-unes des rares chansons écrites par Juliette Gréco), Maurane s’adresse à sa fille dans Je voudrais tout te dire. Et elle parvient à ce précieux dosage d’idiosyncrasie et de généralité qui fait de sa chanson une proposition universelle – ce qui est le Graal de l’auteur de chanson. Elle sait aussi parler d’elle-même comme par défaut d’une autre plume, et c’est saisissant lorsqu’elle évoque les "présences" qu’elle sent autour d’elle dans Jamais seule.

 

Ce n’est sans doute pas un hasard si ce dixième album studio de Maurane s’achève par Où vont les hommes ?, écrit par Christophe Miossec et composé par Stanislas (une association surprenante, mais pertinente). Les vastes questions existentielles du texte s’achèvent par ces vers : "… croire en somme / Que les beaux jours / Sont à venir". Cet album annonce à Maurane de très beaux jours.