Toujours aussi humble et attachant, Salvatore Adamo, le gentleman de la chanson, revisite dans un nouvel album, et avec une belle sobriété, une partie du répertoire de Gilbert Bécaud. Si les capacités vocales de l'un et de l'autre sont fort éloignées, les deux interprètes révèlent une sensibilité commune. Un bel hommage à Monsieur 100.000 volts qui inscrivit quelques pépites au patrimoine, mais semble curieusement peu célébré depuis sa disparition.
RFI Musique : Qu'avez-vous ressenti le 18 décembre 2001, jour de la mort de Gilbert Bécaud ? Salvatore Adamo : J'étais en concert et je l'ai pratiquement appris au moment des balances. Sur le coup, cela a été un choc. Tout de suite, j'ai dit à mes musiciens qu'on allait répéter Et maintenant, chanson que je connaissais presque par cœur. Je l'ai chantée le soir et à un moment donné, j'ai été tellement submergé par l'émotion que j'ai dû sortir de scène. Un journaliste avait écrit que c'était parce que j'avais oublié le texte. C'était plutôt à cause de l'intensité de la musique. Je suis revenu la reprendre avec l'indulgence du public. Je me suis rendu compte à ce moment-là du potentiel harmonique de Bécaud.
Pourquoi n'avez-vous pas lancé ce projet plus tôt, notamment pour le dixième anniversaire de sa disparition ?
Je l'ai proposé il y a trois ans. Et cela n'a pas séduit les responsables de ma maison de disques qui étaient en place à l'époque. Malheureusement, Bécaud a laissé une image d'un homme difficile. Je pense que les médias se sont souvenus de ce geste malheureux qu'il avait eu à la télévision par rapport à un cameraman. Il semble que le nom de Bécaud ait été vite oublié alors que ses chansons restaient présentes internationalement. C'est quand même le compositeur francophone le plus joué dans le monde.
Est-ce, selon vous, à cause de ce mauvais caractère qu'il n'est pas reconnu à sa juste valeur ?
J'en ai, hélas, l'impression. Cela ne me gêne pas trop que quelqu'un avec un immense talent ait un caractère difficile. Karajan était comme ça aussi. Une fois à la Philharmonique de Berlin, il n'a pas voulu me céder la scène pour ma répétition. Bécaud a placé le métier tel que lui le percevait, au-dessus de tout, quitte à jouer des coudes. Mais les chansons sont là.
Êtes-vous conscient que sur le papier : "Adamo chantant Bécaud", ce n'est pas forcément une évidence ?
Au sein de ma maison de disques, on m'a dit : "Mais as-tu la voix pour chanter Bécaud ?". J'ai répondu que je n'avais peut-être pas la voix, mais que je pensais avoir la sensibilité pour m'attaquer à son répertoire. Ce qui m'ennuie un peu, c'est que cela tombe à un moment où il y a une pluralité d'albums-concept. Mais j'en devais un à Polydor, donc autant faire quelque chose qui me tienne vraiment à cœur.
Au niveau de l'interprétation, vous avez choisi l'option de la tendresse plutôt que celle de la fougue ?
Bécaud était complètement extraverti et moi, l'inverse. Mon énergie s'exprime différemment, je la mesure. J'ai essayé les chansons, je me suis fait des maquettes. Je n'ai pas osé toucher au Pianiste de Varsovie, car ce n'était pas vraiment possible de l'amener ailleurset j'ai beaucoup hésité pour Nathalie. Elle est venue en dernière minute parce que la version de Bécaud, c'est un court-métrage avec une musique presque illustrée. J'ai pris alors ma guitare, j'ai trouvé quelques arpèges un peu folk et je me suis dit qu'il y avait une sobriété qui pourrait me convenir.
Le choix des titres s'est-il fait au coup de cœur ?
Absolument. Ma maison de disques m'a directement donné la liste des douze titres les plus joués. Ce n'était pas l'objet de ma démarche. Je ne me sentais pas faire Désirée qui était pourtant quatrième. Les chansons de Bécaud sont très étendues, cela me ramène aux chansons de mes débuts. Un titre comme Le jour où la pluie viendra part de la cave pour arriver très haut. J'ai dû lutter pour que des chansons telles que Croquemitoufle ou Marie Marie en fassent partie.
Quels étaient vos rapports avec lui ?
Je suis allé le voir à l'Olympia plusieurs fois. Même chose de son côté. Quand je l'ai vu la première fois sur scène en 1965, je m'étais dit que le chemin serait long pour avoir une telle présence scénique. Il était si à l'aise, il allait chercher le public comme ses amis. Un jour où je n'ai pas pu me rendre à une de ses premières, il m'a écrit amicalement un mot à la main pour s'en étonner. Je me souviens aussi qu'il m'avait invité dans son appartement au sommet d'une tour de Puteaux où il avait son piano en verre. Il était question à cette période que ses éditions Rideau rouge reprennent mon catalogue. Quand je suis arrivé chez lui, il m'a pris par la taille et m'a soulevé (rires). Il était jusqu'au-boutiste, même dans ses enthousiasmes.
Bécaud et vous n'avez jamais cédé aux modes. Comment l'expliquez-vous ?
Cela n'a jamais été ma préoccupation. Ayant débuté hors modes, il fallait presque avoir la vocation de le rester (rires). Je pense, lui comme moi, que ça fait partie d'une forme d'entêtement. Certainement l'envie de vouloir se retrouver dans ce que nous avons fait et d'en assumer la responsabilité. Ça doit rester l'expression de l'âme.
Lui avez-vous demandé pourquoi il vous a cité dans la chanson Hi Haï Ho ?
Je ne le savais pas. Et je ne l'ai appris que récemment. Je suis allé sur Youtube et je suis tombé sur une version en allemand. Souchon m'avait averti, lui (Le baiser, NLDR), il m'avait dit que dans deux mois j'aurais une belle surprise.
Gilbert Bécaud aurait aimé faire davantage de cinéma. Comme vous ?
Moi, j'ai eu peur. Cela vous prend tout son homme si j'ose dire. Quand j'en ai fait, je m'y suis donné à fond. Et pendant ce temps-là, je n'ai pas fait de chansons. Il me manquait ma vraie dimension. J'ai pourtant eu des propositions disproportionnées, dont une de Claude Autant-Lara. Il voulait que je joue le rôle de Lucien Leuwen dans une adaptation télévisée du roman de Stendhal. Le personnage était trop grand pour moi.