Jean Leloup à la belle étoile

Jean Leloup à la belle étoile
Jean Leloup © V. Tangvald

Reconnu pour orchestrer sa propre disparition symbolique puis pour réapparaître lorsqu’on ne l’attend plus, le chanteur et guitariste québécois Jean Leloup vient d’effectuer un retour surprenant avec À Paradis City, un huitième album chanson bien accueilli, qu’il a composé à Montréal, à Panama et au Costa Rica.

C’est au Planétarium de Montréal que l’artiste aux nombreux pseudos a convié ses fans à découvrir l’album, dans le Théâtre de la Voie lactée, soit un grand dôme où étaient projetées des images 3D de planètes, d’étoiles et de galaxies. Lors de ce lancement, une rumeur voulant que Leloup présente une performance-surprise circulait.

Les invités faisant la queue pour assister à l’une des quatre "représentations" consécutives chuchotaient entre eux, en observant l’homme excentrique qui se promenait parmi la foule, suivi par des photographes ou des journalistes qui espéraient quelques minutes avec lui. Eh bien non. Plutôt que d’interpréter quelques chansons, Jean Leloup a préféré laisser parler le ciel et les constellations, offrant plutôt une expérience d’écoute intégrale de son disque, sans concert. De la piste 1 jusqu’à la piste 10, "à la belle étoile".
 
Il aura fallu nous aussi talonner Leloup pour lui parler, après qu’il a refusé les requêtes d’entretiens privés. Mais comme seuls les fous ne changent pas d’idée, le temps était soudain aux confidences lorsqu’il nous a accordé quelques minutes à l’extérieur du Planétarium pendant l’une des projections. "Pour cet album, je me suis dit que j’allais faire de petites chansons simples et c’était important que le monde les écoute pour de vrai au lancement", a-t-il lâché en allumant une cigarette.
 
"Une copine m’a dit qu’elle écoutait l’album en marchant seule le soir. Ça m’a fait penser au Planétarium : dans les années 70, c’était un classique d’y organiser un show d’étoiles quand un nouveau disque sortait. Je ne comprends pas pourquoi on ne le fait plus!" Même s’il faisait environ -30 degrés Celsius, l’imprévisible artiste semblait serein dans le noir, éclairé par les flammes d’un brasero. "Le Planétarium, c’est bien. Mais les braseros, ce n’est pas mal non plus !"
 
Dix ans en dix chansons
 
Jean Leloup n’a jamais été très à l’aise avec la célébrité. Son "étoile" a connu plusieurs remous au début des années 2000 et il avait même abandonné la chanson pour tenter sa chance en production audiovisuelle. Il y a bien eu les albums solos Mexico et Mille excuses Milady, de même qu’un éphémère trio, The Lost Assassins, et un spectacle-retour intitulé La Nuit des confettis.
 
Depuis, il n’a jamais cessé d’écrire des chansons, même s’il n’avait plus envie de les partager. "À Paradis City, c’est moi qui me promène pendant dix ans en écrivant des chansons qui parlent de ce que je ressens", explique Leloup, en précisant qu’il ne rédige ses textes qu’à la toute fin, préférant les laisser prendre forme dans sa tête, sans crayon ni clavier, au rythme de la marche. "Souvent, ces chansons-là racontent quand tu pars en peur, tu te trompes de direction et tu te pètes la gueule. Quand tu penses à la mort et que tu te dis : il va falloir faire quelque chose de beau de ma vie pour que ça prenne un sens."
 
Avec beaucoup de sincérité, le musicien nous parle de la bipolarité dont il souffre, de ses moments de grande dépression et de ses périodes d’engouement intense. Il raconte aussi le soutien qu’il a reçu de sa famille et de ses amis, qui l’ont accompagné au cours des dernières années. Et ces chansons, qui ne l’ont jamais quitté. "Je peux tomber dans des états complètement noirs dans la tête. C’est rough. Ça donne des chansons. Mais des fois, ce n’est plus une chanson : tu y crois dans ta tête."
 
Après une nouvelle "disparition" de quelques années, il a réalisé qu’il avait tout ce qu’il fallait pour faire un autre album, qu’il a voulu plus simple et axé sur la guitare acoustique. "Une chanson, c’est comme un message intérieur que tu reçois. Quand elle est tapée, c’est comme si elle était comprise et que sa job était faite. C’est comme un médicament."
 
Voir les flamants roses
 
Traversé par des thèmes comme la mort, l’échec, les conséquences de l’excès ou la désillusion, À Paradis City est-il pour autant un album triste ? "Ce sont des sujets hard", en convient Leloup. On pense immédiatement à Willie, le personnage de la première chanson (lancée en vidéo format karaoké avant la parution), un homme qui en a assez de vivre et qui tire sa révérence. "Mais Willie laisse les clés de son 'char', au cas où des jeunes qui passeraient par là voudraient faire le tour du monde ! s’exclame le chanteur cinquantenaire. Ça a l’air triste, mais c’est la vie qui passe. Il y a une espèce d’espoir.Quand tu regardes les nouvelles, ça se peut que tu te dises qu’il n’y a pas d’espoir. Mais à un moment donné, tu vois des flamants roses dans le ciel. Tu ne sais pas pourquoi, mais tu trouves ça magnifique. Pis là, ton cœur explose." Ainsi l’album parle aussi de recommencement, de la vie qui continue, d’aspirations et de survie.
 
Ces flamants roses que décrit Leloup, on les retrouve justement dans une chanson sur un enfant témoin de la guerre (Les flamants roses). À Paradis City est également peuplé d’un père mourant (Le roi se meurt), d’un ex-prisonnier qui reprend le contact (Les bateaux), d’une fille en peine d’amour (Petit papillon), et… de quelqu’un qui revient après une désintoxication et déclare : "Je suis allé trop loin" (Retour à la maison). "J’ai beaucoup bu. Il y a trois ans, j’ai compris que c’était comme pour les diabétiques. L’alcool, ce n’est pas pour moi", admet Leloup d’entrée de jeu, avant de nous parler de Zone zéro, dernière chanson de l’album. "Ça fait cinq ans que je la chante tout seul et que je suis gêné, mais je la trouve belle", dit-il, en expliquant qu’il n’avait pas prévu de l’inclure sur À Paradis City et qu’elle a finalement été enregistrée en quelques minutes seulement. La chanson commence avec les paroles "Je bois du vin/Je tue le temps perdu""Tu peux noyer tes chagrins dans l’alcool. La chanson est à propos de quand tu ne veux plus être triste. La zone où tu ne sens plus rien. Par exemple, tu vas regarder un paysage. Tu vas voir les couleurs et tu vas trouver ça magnifique, mais il n’y aura pas d’émotion. Tu ris, t’as plein d’amis. Mais dans le fond, t’as de la peine."
 
Leloup s’interrompt pendant quelques secondes avant de poursuivre, animé. "Tu penses que tu vis, mais tu ne vis pas. Pour certains, c’est avoir plein d’argent et avoir l’impression d’avoir bien réussi dans la vie, mais au fond… Ça peut aussi être la vedette qui est fière de faire des shows et des disques, mais finalement, y’a juste du vide."

L’album se clôt donc sur cette jolie chanson très minimaliste qui est traversée par des images associées au vide et même à la mort. "Je n’ai pas peur de la mort. Mais j’ai peur de mourir sans avoir fait quelque chose de "wow". Pas nécessairement faire. C’est plus être. Sans réussir à être."

 
Jean Leloup À Paradis City (Grosse Boîte) 2015
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