Alain Chamfort renoue avec l'envie

Alain Chamfort renoue avec l'envie
Alain Chamfort © B. Camaca

Il aura fallu attendre plus d'une décennie pour qu'Alain Chamfort sorte de nouveaux morceaux originaux. En s'entourant du décidément inspiré Frédéric Lo – à qui l'on doit beaucoup pour le majestueux Crève Cœur de Daniel Darc – et de son fidèle parolier Jacques Duvall, cet éternel romantique fait la part belle aux sonorités eighties. Un disque éponyme qui s'inscrit dans la continuité.

Douze ans entre Le Plaisir et ce nouvel album de chansons originales. Presque une éternité ?
Le temps passe très vite, vous savez. Et je suis encore plus inquiet pour les douze années qui vont venir. Je n'avais plus de maisons de disques après qu'on m'ait rendu mon contrat. Il y a eu des initiatives personnelles comme ce live au Jardin du Luxembourg ou l'Olympia avec des places à cinq euros. Quant à l'album sur Yves Saint-Laurent, cela a pris plus de temps qu'on avait imaginé. Pierre Bergé nous avait demandé d'attendre un peu compte-tenu du décès du couturier.

Avec du recul, l'album de duos sorti en 2012 était-il vraiment une bonne chose ?
J'étais un peu suspicieux sur cette demande-là. D'autant que j'arrivais en bout de course, il y en avait eu plein d'autres avant. Je me disais que cela allait me permettre qu'on réentende mon travail. Mais c'était une opération qui sentait le marketing à plein nez. Du coup, j'avais du mal à le défendre et je disais les choses franchement. Ce qui n'était pas du goût de la maison de disques.
 
Pourquoi étiez-vous dubitatif à l'idée de sortir un disque ?
Je trouvais que le contexte général n'était pas favorable et qu'un album n'avait plus vraiment de sens. J'étais plutôt prêt à revenir sur les singles parce que la consommation de la musique a changé terriblement. J'aurais mis de temps en temps des titres sur le net pour avoir des demandes de concert.
 
En s'appelant Alain Chamfort, cela ne débloque-t-il pas la situation ?
Si la proposition ne venait pas de la profession, qui d'elle-même imaginait que ça avait de l'intérêt, c'était déjà un signe. Les gens savaient que j'étais sans contrat. Je n'allais pas me monter en illusion sur quelque chose que personne d'autre que moi ne pensait. Et je ne voulais pas être dans la position du demandeur car c'est un peu humiliant.
 
Vous êtes-vous posé la question de votre légitimité ?
Il y a longtemps que je me la pose (rires). Les gens n'ont plus non plus le même rapport aux artistes. Tout est davantage éphémère et impalpable. Je m'adapte aux situations. Même s'il n'y a pas de chiffres colossaux derrière, je sens de l'affection et de l'estime. Je ne suis pas complètement seul ou désespéré.
 
Qui vous a finalement convaincu de faire cet album ?
On m'a conseillé de travailler avec Frédéric Lo. Cela a mis en route l'envie. Frédéric est musicien et il aimait bien ce que j'avais fait avant. Donc c'était intéressant de voir ce qu'on pouvait envisager. Il a sélectionné certaines de mes idées que j'avais emmagasinées sur mon iPhone, fait des ébauches d'arrangements. J'ai trouvé qu'il avait du goût et on a fait ainsi cinq, six titres. Comme il est en contact avec l'industrie du disque, certaines maisons de disques ont eu envie d'écouter. Puisque ça intéressait Pias, je me suis dit que c'était une expérience qui ne me déplairait pas. 
 
Retrouver Jacques Duvall, c'était une évidence ?
Durant toutes ces années, on a continué à se voir. Il fallait qu'il franchisse cette étape dépressive. Cela a été plus long que d'habitude mais il fallait respecter ce rythme-là. Dès qu'il a commencé à laisser venir les idées, la machine s'est enclenchée. On partage beaucoup de points de vue, on a une sensibilité commune, ces thèmes sur la difficulté amoureuse notamment. On reste ici dans cette évocation-là mais quand on fait un travail ensemble depuis longtemps, on est obligés aussi de continuer à se surprendre, évoluer. Son écriture est plus positive. Dans Joy, il y a un personnage qui vient apporter un peu de lumière et d'espoir.
 
Les singles Deux poignards bleus et Joy, respectivement une ballade atmosphérique et de la pop sautillante, donnent les deux tendances du disque. Est-ce purement réfléchi ?
Quand la presse spécialisée comme les Inrocks s'est penchée sur le disque, elle a voulu mettre en avant Deux poignards bleus. On a laissé faire. Mais on savait pertinemment qu'aujourd'hui, le succès d'un disque doit se manifester très rapidement, on a rarement une seconde chance. En écoutant l'album dans son ensemble, Joy a quelque chose de plus immédiat et destiné à un public large. Et cela fait partie de ce que je suis. Il fallait aussi pouvoir bénéficier d'un passage radio.            
 
Le nom de Charlotte Rampling s'est-il imposé pour le duo de Où es-tu ?
Compte tenu du texte, il fallait une femme mûre. C'est un couple qui a une expérience de vie ensemble. Il n'y a pas de partie chantée donc on voulait une voix qui ait du caractère et évocatrice. J'ai cherché des actrices de ma génération. Pour certaines que je ne citerai pas par élégance, il y avait toujours un peu une retenue. Charlotte a une classe naturelle et elle a été de suite partante.
 
Votre grande humilité n'a-t-elle pas été un frein pour votre carrière ?
J'ai plutôt une nature qui propose des choses mais ne cherche jamais à les imposer. Quand j'y pense, avec cette approche, c'est déjà un miracle que je sois arrivé là. Je n'ai pas un caractère à jouer des coudes et m'imposer. On m'a pourtant souvent dit que c'est comme cela qu'il fallait être pour faire une carrière. Mais on peut en faire une autrement. Finalement j'ai traversé les époques sans être surexposé. Je ne pense pas avoir trop fatigué les gens.
 
Vous avez cette image de dandy séducteur. En avez-vous bien profité avec les femmes ?
La vie a été assez active de ce côté-là, c'est vrai. Mais je n'ai pas toujours eu le beau rôle. C'est aussi cela qu'on aime exprimer dans les chansons. L'expérience fait qu'un jour vous pouvez être victime et le lendemain en position de force. On peut exprimer différentes facettes de sa personnalité en fonction des histoires que l'on vit. Quand on a une activité comme celle-là, on est confronté aussi au regard des autres. En même temps, je suis resté assez proche des personnes qui ont partagé ma vie. Je ne suis pas quelqu'un qui tourne la page et qui passe tout de suite à autre chose.
 
Alain Chamfort, Alain Chamfort (Le Label - Pias) 2015
Site officiel d'Alain Chamfort 
Page Facebook d'Alain Chamfort 

En concert le 14 juillet dans le cadre du festival Francofolies de la Rochelle, et le 24 et 25 novembre au Palace à Paris.