Rose, la femme cocktail
Elle s’est fait connaître il y a presque dix ans avec une Liste qui en plus de chanter ses envies et ses rêves amoureux, annonçait sa plume et sa signature vocale : une écriture autobiographique et un grain de voix un brin éraillée, qui s’accordent à cœur pour mettre en lumière l’émotion et dévoiler les failles. La chanteuse Rose est de retour avec Pink Lady, un quatrième album qui vient chahuter la vie comme on vide ses poches. Un cocktail sur mesure.
RFI Musique : Vous avez passé un Nouvel An, isolée dans un hôtel pour écrire Pink Lady. C’est le disque d’une femme-cocktail ?
C’est exactement ça, femme bordel, femme cocktail. J’avais l’impression que ça pouvait être tout et n’importe quoi. Un fruit, une fleur, un cocktail, un personnage. Je me suis retrouvée dans cet hôtel avec comme unique ami, le barman. Il n’y avait personne, c’était très glauque. J’ai goûté tellement de cocktails, il m’en a fait un pour moi : vodka, citron, curaçao. C’était bleu, beau et délicieux. Il m’a dit : "C’est pour vous, Mademoiselle Rose". Je me suis dit que je passais pour la Pink Lady. Ça avait un côté chic alors que dans ma tête, c’était "Bloody Mary", un bordel tellement fou que je n’arrivais pas à écrire. C’est compliqué de s’isoler pour écrire.
J’ai besoin de me mettre dans la difficulté, de beaucoup de recherche et d’ennui pour sortir une phrase. A la maison, il y a toujours un truc concret de la vie de famille qui pourrit l’artistique, à mon sens. J’ai tout écrit pendant ce lâcher-prise. Et je me suis rendu compte que j’ai mélangé tellement de choses dans cet album. L’immaturité du premier, la surmaturité du troisième un peu "bisounours", la maman qui a tout compris à la vie, alors qu’en fait pas du tout ; mon passé, le présent, et puis ce que j’imagine plus tard. J’ai pris mon couple et je l’ai secoué dans tous les sens, pour voir comment il tenait le coup. C’est explosif pour moi, parce qu’il y a des vérités qui en sont sorties qui m’ont fait terriblement mal. J’avais cette impression de sortir des choses comme si je parlais à un thérapeute. Un cocktail où j’ai mélangé les styles aussi, avec les compositeurs.
Les Rencontres m’ont donné envie de travailler en atelier. J'y ai découvert comment s’ouvrir et vu à quel point cela peut être intéressant de travailler avec des gens. J’étais solitaire en mode créatif, c’était parfois douloureux. Quand rien ne vient et que tu es seul(e) face à ton inutilité, tu ne peux te retourner vers rien. Soudainement, à deux, il se passe un truc. Quelqu’un a une idée, il y a un ping-pong, ça devient un jeu. Les chansons que j’ai travaillées avec les autres ont été d’une facilité un peu déconcertante pour moi. Je m’en étais privée tout ce temps par ego, pour dire : "je fais tout toute seule". Là, j’en ai fait huit seule comme auteur-compositeur, et j’ai laissé la compo sur quatre morceaux à mes amis : Pour être deux, composé par Loane, Maman est en Bad, par Laurent Lamarca, Atone a été co-composé avec Medi et Adrien Daucé (Auden) a co-composé et réalisé Je compte et Je ne viendrai pas demain.
C’est complètement fou. Avec Loane, on s’est dit que c’était un vrai duo, une chanson assez 90. Je voyais Murat, surtout qu’à ce moment-là, j’écoutais beaucoup Babel. Elle m’a dit : "demande-lui", mais je pensais qu’il n’accepterait jamais. On avait maquetté la chanson avec Pierre Jaconelli (le réalisateur, ndlr). Puis il a accepté. C’était un peu impressionnant parce qu’il est imprévisible, mais on s’est marrés quand même.
J’en ai inventé deux, dont Partie Remise : un pompiste qui voit des gens partir en voyage et incarne le comble du mec qui est statique, alors qu’il voit passer toute la journée des images assez fortes des joies du voyage : des amoureux en fuite, des enfants qui se chamaillent. Il veut se casser… A chaque fois, il ne part pas. Ça parle de tout le monde finalement, même de moi parfois. Ce rêve qu’on peut avoir de changer de vie, de tout plaquer. On est mal là où l’on est, on se dit j’y vais… mais pas maintenant, j’attends ceci cela.
Je les vois comme un fléau dans lequel j’ai moi-même plongé corps et âme. Une façon de récolter de l’amour par virtualité. C’est devenu difficile pour moi de prendre du plaisir dans quelque chose si je ne le partage pas sur un réseau. Je me fais violence, je suis capable un jour d’aller faire une cure ! On est entré dans un tel phénomène de virtualité de bonheur. Tu postes une photo d’un ciel bleu : tout le monde croit que tu es heureux, alors que si ça trouve, tu es en train de crever chez toi. C’est une hypocrisie, un mensonge. Il n’y a plus moyen de savoir si quelqu’un va bien. On envoie un texto, alors que quand on se voyait, on savait tout de suite si ça allait ou pas. J’ai l’impression qu’on est dans un monde très "fake", et je combats ce côté-là en écrivant des choses très très sincères. Dans mes disques, c’est l’inverse de cette démo perpétuelle de ce que l’on fait, ce qu’on dit, les blagues qui comblent les béances. Il y a une véracité évidente dans les textes de cet album. Même moi, ça m’a un peu déchiré les yeux de lire ce que j’avais pu écrire.
C’est La liste 2015, un clin d’œil parce qu’on on a beau travailler sur soi, foncièrement on ne change pas. Je vais toujours continuer à pleurer pour un rien. Je me sens pareille, aussi fragile et à fleur de peau, toujours aussi sensible, sinon je n’écrirai pas, je pense. Et finalement, ça me va.
Rose Pink Lady (Sony/Columbia) 2015
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