Il y a une énigme Daven Keller. Celui qu'on a d'abord connu derrière le patronyme Pierre Bondu ne reçoit pas le succès qui lui sied de droit. Avec Réaction C, troisième volet d'un projet entamé il y a sept ans, le musicien revient avec un disque de pop chantée et bigarrée. Nouvelle démonstration d'un cerveau bouillonnant de créativité.
Il faut prendre les disques de Daven Keller pour ce qu'ils sont : une radioscopie d'un esprit constamment en quête. A chaque fois, son empreinte génétique prend des tournures encore mal répertoriées dans les grimoires. Fâché avec la raison et le calibrage, ce songwriter français est capable d'agencer des traits d'union insoupçonnés entre les styles et les époques, parlant couramment plusieurs langues musicales. Aussi, quiconque a déjà lu le CV de Daven Keller comprendra vite le béguin de l'artiste pour l'éclectisme.
Sous sa véritable identité civile, en l'occurrence Pierre Bondu, il aura accompagné
Dominique A sur plusieurs tournées, arrangé pour
Miossec, composé un tube pour
Katerine (
100% VIP), signé la bande-originale de musiques de films et surtout sorti en 2004
Quelqu'un quelque part, deuxième album admirable qui l'avait rangé dans les espoirs à suivre de très près. Rarement un accueil médiatique – du moins concernant la presse écrite – n'aura été autant dithyrambique.
Sauf que le garçon, aujourd'hui âgé de 43 ans, a refusé de surfer sur la vague. D'abord à cause de son aversion pour la répétition. Ensuite car le plan de carrière n'a jamais fait partie de son cahier des charges. "Je ne fais pas d'études de marché, je fais de la musique. Après Quelqu'un quelque part, je n'arrivais pas à partir ailleurs, il n'y avait plus de mouvement et j'avais l'impression de stagner. Le rapport à la chanson française me gonflait. Être dans un couloir et devoir y rester, c'est trop oppressant."
Lâcher-prise
Retour aux affaires, donc, quatre ans plus tard, avec Réaction A. Il n'est plus Pierre Bondu mais Daven Keller. Un pseudo qui n'aurait pas détonné dans une série américaine et qui lui permet de s'abandonner dans une sorte de lâcher-prise. "Cela m'offre la responsabilité de dire des choses que je n'aurais pas pu dire si j'avais été Pierre Bondu". Le disque, pourtant de belle qualité, passe à la trappe. Comme le suivant (Réaction B), essentiellement instrumental. "Certains journalistes m'ont fait payer ce changement de nom et rayé de la liste". Il dit cela sans amertume, juste sur fond de constat.
Entre-temps, la maison de disques Pias lui lâche la main avant qu'il n'écrive le deuxième chapitre. Le voilà contraint de tout financer lui-même. Aucun label ne lui saute au cou à l'écoute de cette troisième Réaction. Au bout de quatre rendez-vous, il n'insiste pas. "On m'a dit que je n'avais que 840 amis sur Facebook. On ne m'a pas parlé de musique mais seulement de ce paramètre-là. A un moment donné, tu ne peux pas attendre, il faut avancer."
Juke-box
De l'intuition et du contrôle, de l'architecture et du dessin au crayon. Voilà comment fonctionne Daven Keller au sein de ses projets. Et son petit dernier a la puissance d'un juke-box, comme un zapping curieux sur le tuner d'un autoradio. Lui préfère parler de "fête foraine où chaque attraction a sa propre caractéristique". Rien n'est ici laissé sur le compte du hasard et certainement pas l'ordre des morceaux. On le voit ainsi faire souffler le chaud et froid (Merci la vie), adresser des clins d'œil à Katerine (Apocalypse) ou Ennio Morricone (Kamizake), recycler un ancien titre dans une veine rap-groovy (Reverse), revêtir la cape du crooner langoureux (Bossa nova), convoquer son amour-passion pour la musique de film (Éternel éphémère) et glisser un texte un brin revendicatif sur fond d'un gimmick dansant (Slogan). Sa voix légèrement désincarnée n'a jamais été autant mise en avant.
Reste que la résonance de cet album est plus que relative. D'où une réticence lucide à aborder l'étape scénique. "J'ai dû vendre trente disques. Je ne me vois pas jouer seul dans un café". La Réaction D est déjà amorcée. Pourvu qu'elle puisse enfin lui procurer la place qu'il mérite.
Daven Keller, Réaction C (DK Disk) 2015
Page facebook de Daven Keller