Cœur de Pirate vers l'âge de raison

Cœur de Pirate © E.Saint-Denis

Son troisième bouquet de chansons s'appelle Roses et contient encore quelques épines. Mais Béatrice Martin, alias Cœur de Pirate, se révèle beaucoup plus apaisée et moins vengeresse que par le passé. En s'entourant d'un trio de réalisateurs de renom et en privilégiant la langue de Shakespeare, elle s'apprête à conquérir le marché international avec ce disque de pop vaporeuse. Sans conteste la meilleure livraison de la chanteuse québécoise à ce jour.

RFI Musique : Quatre ans se sont écoulés entre ce disque et le précédent, Blonde, mais vous avez multiplié les projets parallèles (la reprise de Mistral gagnant, la musique d'un jeu vidéo, la bande originale d'une série...). Une démarche d'exploratrice ?

Cœur de Pirate : C'était assez excitant de pouvoir évoluer dans d'autres sphères. Faire de la musique entièrement instrumentale pour ce jeu d'Ubisoft signifiait qu'on reconnaissait mon travail de compositrice. En fait, je n'ai jamais vraiment arrêté depuis Blondes. Aujourd'hui dans l'industrie du disque, c'est important de rester présent. Par contre, j'avais besoin de faire une pause de la scène pour que l'envie revienne. Et cela a été bénéfique parce que j'ai retrouvé le désir de réattaquer les concerts.
 
Pourquoi ces roses noires sur la pochette du disque ?
Je n'allais pas mettre des roses rouges ou blanches, c'était trop cliché et cela n'était pas en lien direct avec ce que je voulais raconter. Il y a un rapport assez sombre à la fleur qui fait du sens avec mes chansons : ce côté beau mais épineux en même temps. J'ai abordé d'autres choses. Dans mes deux autres albums, j'avais tellement concentré mon énergie sur mes relations amoureuses et la vengeance. Je n'avais pas fait le travail sur soi-même. Peut-être que les gens vont se retrouver aussi autour de mes inquiétudes et de mes angoisses, thèmes qui sont assez présents ici. Je n'aurais pas été capable de parler de ça avant.
 
Vous êtes en tout cas moins vacharde dans vos textes...
Avant, c'était souvent de l'ordre du règlement de compte. Là, je reconnais ce qui est arrivé chez moi. Cette acceptation m'a fait beaucoup de bien.
 
Une sorte de cheminement vers l'âge adulte ?
La maternité, c'est le moment où on se remet beaucoup en question. J'ai grandi certes un peu dans l’œil du public mais également dans une ère où tout le monde passe à autre chose très facilement. La société actuelle est adepte du zapping. Et je parle beaucoup d'oubli dans cet album. J'ai vécu cela avec des relations amicales et amoureuses. Il y a eu de grands moments de solitude qui m'ont permis d'avoir un vrai questionnement personnel et de pouvoir faire un album comme celui-ci.
 
La naissance de votre fille Romy a-t-elle eu une influence sur votre écriture ?
Totalement. Cela a changé ma façon de penser, de voir les choses et donc d'écrire. Il y a quelque chose de moins fatidique chez moi, je ne me roule plus par terre en disant que je ne vais plus jamais m'en remettre. Quand tu es plus jeune, tu ne veux pas trop l'entendre et les sentiments viennent te ronger de l'intérieur. Je positive davantage, même dans les moments difficiles.
 
Estimez-vous que Oublie-moi est la chanson transition avec votre approche précédente?
C'est assez vrai. Elle marque cette séparation entre ce que j'étais et ce que je suis aujourd'hui. C'est ma transformation, une lettre que je m'écris à moi-même. J'aime ce rapport de la correspondance en chanson avec moi ou avec les autres. C'est ma façon de communiquer. En général, je ne suis pas très à l'aise pour parler aux gens. En face à face, ça passe mais dans un groupe je deviens un peu sauvage et me renferme. Quand j'essaie d'expliquer quelque chose à quelqu'un ou faire passer un sentiment, cela passe par une chanson. 
 
L'anglais l'emporte ici sur le français. Une volonté de conquérir le marché international ?
Forcément. J'ai envie que ma musique touche d'autres territoires. J'ai eu aussi de la chance de faire une tournée aux États-Unis grâce à une belle exposition en streaming. Au fur et à mesure des concerts, je me suis rendu compte que les gens adoraient mais ils ne comprenaient pas toujours le sens des textes. J'avais donc envie de leur offrir quelque chose de plus direct. Avec cet album, je vais pouvoir jouer dans tous les pays où je ne suis pas allée encore et qui sont en demande. Je sais qu'au Brésil, par exemple, on m'attend depuis 2009. C'est comme un nouveau chapitre qui s'ouvre.
 
Bjorn Yttling (Lykke Li, Franz Ferdinand, The Hives...), Ash Workman (Metronomy) et Robin Ellis (PJ Harvey) à la réalisation, c'était prévu dans vos petits papiers ?
Depuis que j'écoute de la musique, je suis complètement fan de Bjorn. J'étais tombée à la renverse du travail qu'il avait fait notamment sur le premier album de Lykke Li. Je l'avais rencontré il y a longtemps aux Ardentes de Liège. Sauf que j'étais un peu saoule et qu'il m'avait regardé bizarrement (rires). Je me suis dit que mes chances étaient grillées. Malgré cela, je lui ai envoyé mes démos sans que je m'attende à ce qu'il accepte. C'est un privilège que d'avoir un tel trio de choc sur son album. Il y a plus de cordes, de batterie, se synthés, de sampling. Le piano est toujours présent mais il sonne différemment. Comme j'étais en confiance avec mes chansons, j'ai laissé faire les réalisateurs pour qu'ils les emmènent ailleurs. Je ne pouvais pas rester au Québec, il fallait que je visite d'autres contrées.
 
Le titre Drapeau Blanc est-il une mise au point concernant vos relations avec votre mère ?
Elle est à fois une figure de mère et d'autorité. Elle était toujours derrière moi quand je faisais mon piano. Durant mon enfance, c'était assez compliqué. Le piano était essentiel pour elle et, à un moment, je n'ai pas trop compris pourquoi cela était aussi important. Quand je me suis détachée du classique, ça a été très difficile pour ma mère. On a eu des phases complexes ensemble et on aurait pu se perdre de vue. Les choses se sont désormais apaisées.
 
Vos tatouages sont-ils comme vos chansons ? Ont-ils tous une signification particulière ?
Ce sont souvent des bribes de voyages. Quand je me rends dans un lieu particulier, je me fais tatouer. Mais j'ai mis un frein à tout ça, je n'ai plus trop de place (rires). Et puis, je suis devenue moins tolérante à la douleur. Plus tu as de tatouages, plus ça fait mal quand tu veux en mettre des nouveaux.
 
Cœur de Pirate, Roses (Barclay) 2015
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