Lizzy Mercier Descloux nous a laissé un souvenir : l’énorme tube Où sont passées les gazelles ?, hymne antiapartheid de 1984. Avant cela, elle a été une petite fille seule du quartier des Halles, puis une égérie du New York branché. Témoignage musical.
Sale temps : les années 1980 new wave, punk et no wave s’effacent lentement, malgré des sursauts bienvenus comme la réédition de l’album des débuts de Lizzy Mercier Descloux, Press Color. Cette réédition arrive en effet au moment où l’on apprend la mort d’Edwige Belmore, autre icône des années punk à Paris et à New York avec son groupe, Mathématiques modernes. Lizzy, comme Edwige, appartenait à la nuit, un monde, dont le centre a longtemps hésité à se placer entre Paris – Les Halles et le Lower East Side new-yorkais.
Press Color déborde de vie. Enregistré aux studios Blank Tapes de New York en 1979, ce disque sonne comme un album de rock expérimental du XXIe siècle : électro, funk, musique de film, fulgurances nonsense et punk. Du rythme avant toute chose. En témoignent Fire, reprise électro bossa du succès planétaire d’Arthur Brown, ainsi que Hard Boiled Baby, incantation jazz rock avec harmonica frappé de Parkinson, ou encore l’excellent No Golden Throat, avec ses "On n’y arrivera pas"… Deux titres, Torso Corso et Herpes Simplex, évoquent, eux, les morceaux éternels qu’enregistreront à Rennes, un an plus tard, Marquis de Sade (Brouillard définitif, 1981).
Dans ce premier album, Lizzy Mercier s’amuse beaucoup à l’exercice de la reprise : ainsi en va-t-il de deux thèmes de Lalo Schifrin, dont celui de MissionImpossible, ici dopé à l’EPO. Ou encore de Tumour, brillante parodie swing du Fever de Peggy Lee, le mot "fever" étant ici remplacé par "tumour"…
La présente réédition remastérisée de cet album inclut également Morning High, un superbe duo avec Patti Smith, où les deux femmes interprètent, en deux langues et sur fond de guitares planantes, la Matinée d’ivresse d'Arthur Rimbaud. Press Color sonne comme un joyeux bordel. Et c’est toute l’essence de la jouissance qu’il nous procure.
La future Lizzy naît Élisabeth Mercier en décembre 1956 à Paris. Elle y vivra son adolescence dans le quartier des Halles. Étudiante aux Beaux-arts, elle rencontre Michel Esteban, qui vient d’ouvrir une boutique de disques importés, Harry Cover, et connaît déjà l’avant-garde new yorkaise : Patti Smith, les Stooges ou encore Television. En 1975, Lizzy et Esteban s’envolent pour New York.
Lizzy, "très enthousiaste, drôle et un peu barrée" d’après le producteur Bill Lasswell, ne tarde pas à y devenir une des icônes de l’underground – ainsi que la petite amie de Richard Hell, de Television, qui, lui, la voit comme "une petite fille intello, une chanteuse aventurière taillée pour le sexe"… En 1979, avec Michel Esteban, dit DJ Barnes, à la guitare, Lizzy enregistre Press Color en deux semaines seulement, pour le prestigieux label ZE Records.
Suivront, jusqu’en 1988, cinq albums, dont Zulu Rock (1984), qui inaugure la vague de la world music : Lizzy, en voyage en Afrique du Sud et fascinée par le groupe de mbaqanga Mahlathini And The Mahotella Queens, donne cette couleur à tout son disque, engendrant ainsi l’énorme succès Où sont passées les gazelles ?, Bus d’Acier 1984 qui lui sera remis par Alain Bashung…
En 2000, Lizzy s’établit en Corse, peignant et écrivant des poèmes. En avril 2004, elle s’éteint à Saint-Florent, au pied du Cap Corse. Une "tumour" l’a emportée, vingt-cinq ans après Press Color, où elle la chantait de façon si moqueuse.
Lizzy Mercier Descloux Press Color (ZE Records/ Light In The Attic Records/PIAS)
La réédition des autres albums de Lizzy Mercier Descloux est prévue chez Light In The Attic Records, relayés en Belgique et en France par [PIAS], pour les mois à venir.