Bertrand Belin, répétition lettrée
Avec Cap Waller, Bertrand Belin continue de marquer son empreinte en creusant le même sillon. Pas du genre à chambouler ses plans et ses structures, le dandy flegmatique s'appuie sur ses obsessions thématiques, un langage basé sur la phrase répétitive et une pulsation dansante. Ce n'est pas toujours facile d'accès de prime abord mais cela vaut sacrément le coup de persévérer en multipliant les écoutes.
RFI Musique : Une pièce de Marc Lainé, un roman, un spectacle autour du Berlin de Bowie, des lectures musicales... Comment expliquez-vous cette frénésie de projets depuis Parcs ?
Bertrand Belin : Ces projets ont bénéficié d'une médiatisation importante que l'on doit à la notoriété de leurs metteurs en scène et auteurs. Sans doute cela a-t-il rendu plus visible mes participations. Mais croyez-moi, il n'y a pas l'once d'une frénésie dans tout cela. Ce travail s'accomplit dans la joie et le sérieux, pas dans l'agitation frénétique. J'ai toujours collaboré le plus possible avec les autres disciplines que sont le théâtre, le cinéma, la danse, les arts plastiques, et cela depuis de nombreuses années.
Ces escapades, comme toujours, nourrissent mes albums. Parfois de manière directe ; j'ai par exemple écrit la chanson Douves pour la pièce Spleenorama de Marc Lainé. Mais mon travail est alimenté également de manière indirecte, par la fréquentation de nouvelles personnes aux centres d'intérêt neufs pour moi, l'attention portée aux sujets qu'ils développent dans leur travail.
La clarté, la pulsation, une certaine urbanité, un autre tropique.
On peut considérer que sa place est centrale. J'ai toujours considéré que dès qu'il s'en trouve une sur un album, c'est son son et sa place qui déterminera l'aspect général du son du disque. Après, la guitare reste mon principal allié, un peu comme un chien (rires).
Cap, pour ce qu'est un cap à savoir un lieu géographique marquant ou symbolisant le passage d'un océan à un autre, d'un état à un autre. Waller, en hommage à Hugues Waller, musicien folk et chanteur de Sheffield. Comme pour Parcs, je suis allé enregistrer mon album dans cette ville d'Angleterre.
Je préfère le terme osseux à celui de minimaliste. Certaines choses ne demandent pas tant de moyens ou de mots pour être exprimées. Parfois, au contraire, et c'est le cas de Je parle en fou, il faut avoir recours à plus de phrases.
Je ne crois pas qu'il y ait de systématisme. Je parle en fou, Le mot juste ou encore Entre les ifs ne sont pas écrites comme les autres. Mais c'est vrai que la répétition est très présente. À mon avis, la musique, comme les arts en général, n'échappe pas à la question du style. Les artistes travaillent le fond et la forme en suivant des voies plus ou moins académiques, plus ou moins obsessionnelles. On ne saurait évacuer une sorte "d'instinct de forme la forme idéale pour soi". La répétition a à voir également avec le martèlement informationnel du monde contemporain, avec ce qu'il reste de l'influence de la mécanique sur les arts transposée dans l'informatique et les médias. Mais la répétition dans la musique est aussi une résurrection magique. Musique et répétition, voilà une très ancienne histoire. Les répertoires de chansons populaires dans de nombreuses cultures et époques ont toujours intégré les recours de la répétition et du minimalisme. La chanson cajun à ce titre, m'a beaucoup influencé. Des situations très simples, exprimées de manière brève et imagée comme on en retrouve dans le blues. Le texte de Frère Jacques offre un autre exemple probant de la répétition en chanson. Globalement, la chanson enfantine utilise ce moyen.
Les silhouettes indiquent la distance qui sépare l'observateur de son sujet. Pas assez près pour en connaître les détails. C'est comme ça en ville où chaque jour nous sommes au coude à coude avec des centaines, des milliers de personnes dont nous ne connaissons rien. Et qu'il faut aimer et considérer.
Je ne saurais le dire. La sensibilité, l'émotivité confrontées au spectacle du monde comme il va, peut-être. L'injustice sociale, le déclassement, l'abandon viennent souvent prendre place dans mon écriture.
Je ne suis pas érudit. C'est une idée qui fait son chemin. Tant que cela n'est pas proclamé comme une insulte, cela ne me dérange pas. Mais c'est faux.
J'airemarqué qu'on ne me parle jamais de mes deux premiers disques. Hypernuit, qui est mon troisième et premier sorti sur le label Cinq7, a rencontré un plus large public. Le label y est pour beaucoup. À ce titre, on peut dire que oui.