Elle s'était retirée de la scène musicale il y a vingt ans. Elle revient avec un hommage à l'homme de sa vie. En articulant sa première comédie musicale autour des chansons de Michel Berger, disparu en 1992, France Gall touche le public en plein cœur. Résiste fait un triomphe au Palais des Sports de Paris.
A moins de vivre retranché dans un bunker, impossible de passer actuellement à côté de la comédie musicale Résiste. Campagne publicitaire proche du matraquage. Occupation efficace du terrain médiatique. Et France Gall qui sort, enfin, de sa tanière. Malgré les coups du sort et les deuils, la muse de Michel Berger est toujours debout. Elle ne rechigne plus à faire la causette avec des journalistes. Clame son bonheur. Et remet, après vingt ans d'effacement, la musique au centre de sa vie.
Hormis une apparition à l'Olympia en 2000 pour un duo avec Johnny Hallyday, elle avait pourtant pratiquement disparu de la vie publique et artistique. Personne ne croyait à cette fin de retraite prolongée. Mythe, d'ailleurs, souvent entretenu par la principale intéressée dans les rares entretiens accordés jusque-là. Avec le producteur Thierry Suc et son ami Bruck Dawit, elle jouissait sans doute délicieusement du coup qu'elle préparait secrètement. Elle, l'interprète, prend donc désormais le contrôle créatif. C'est à ajouter en majuscule dans sa biographie. Rien ne lui a échappé. Elle a coécrit le livret avant de superviser chaque étape avec un appétit et une exigence non feints. Une ténacité à toute épreuve également.
Populaire et enchanteur
Reste que ce ramdam en valait-il la chandelle ? Inutile de s'attarder : pas d'alternative possible autre que celle de l'affirmatif. Divertissement populaire et à la cible fédératrice peut-être. Mais un enchantement permanent surtout. S'aventurer dans la comédie musicale, c'est tenter de résoudre une équation casse-tête : comment, en additionnant des éléments hétéroclites – une histoire et des chansons, des personnages qui parlent quand ils ne dansent, et vice versa – on arrive à démultiplier les plaisirs. Et puis le fin de mot de l'histoire en revient toujours au rythme.
Résiste coche tous les curseurs. Fait, disons-le, rarissime sur le territoire hexagonal. Jamais l'ennui ne nous guette un seul instant. Mise en scène impeccable et enlevée de Ladislas Chollat. Sur la scène, du mouvement, un décor sans cesse renouvelé, des panneaux coulissants, un piano mobile, un podium, un bureau, un bar. Il y a beaucoup à voir, trop parfois. Faut-il vraiment s'en plaindre ? Les admirables chorégraphies de Marion Motin – déjà sacrément inspirée quand elle œuvre pour Stromae et Christine and the Queens – contribuent à la ferveur jubilatoire. Batailleuses, aériennes, pop, elles accrochent le regard sans relâche. C'est un des tours de force du spectacle.
Des découvertes au casting
France Gall apparaît à plusieurs reprises via des vidéos filmées. Grand-mère qui convoque le souvenir. Et narre à sa petite-fille son épopée au Lola's, boîte de nuit sujette à la faillite qu'elle dirige avec sa sœur et son père. Le casting ne mise que sur la découverte. Des jeunes entre 20 et 25 ans, en grande majorité. Élodie Martelet (Mandoline) et Gwendal Marimoutou (Tennessee) ont pointé leur nez dans The Voice. Léa Deleau (Maggie), confondante France Gall, a été repérée sur le net. Lumineuse à souhait et voix emballante, Corentine Collier (Angelina) est à suivre de près. Et Victor Le Douarec (Mathis) ne manque pas de panache.
Aucun d'entre eux ne cherche à tirer la couverture à lui. Un esprit de troupe palpable, si bien qu'il s'en dégage une bonne humeur communicative. Dans l'interprétation, un respect de rigueur. Parce que chacun sait que les chansons sont la star de Résiste. Elles sont logées dans nos synapses, elles ont le même pouvoir de séduction qu'hier. Fidèles aux versions originales et seulement ajustés d'une petite pointe de modernité, les arrangements font preuve d'une belle sobriété. Pas question de mettre le feu au lac.
Un inédit vient se glisser au milieu de la trentaine de morceaux. Mixée au printemps dernier, la ballade Un dimanche au bord de l'eau – enregistrée il y a 35 ans – a été ressortie des tiroirs par France Gall. Sur fond de tableau à la fois onirique et bucolique, elle est livrée ici avec la voix de son créateur. Instant émotion qui sonne presque comme un instant de recueillement. Mais la machine à mélodies familières reprend vite sa marche en avant. Public en effervescence au rythme des Il jouait du piano debout, Ella elle l'a, Viens je t’emmène, La groupie du pianiste, Débranche... La salle, debout, vibre à l’unisson. Ovation généreuse qui redouble d'intensité quand France Gall rejoint son équipe pour les saluts. Elle serre les poings. Elle sait qu'elle a remporté la mise. Et haut la main.
Comédie musicale Résiste, au Palais des Sports de Paris jusqu'au 3 janvier 2016, puis en tournée en France jusqu'en mai 2016.