À la tête de son big band explosif et bariolé, Le Sacre du Tympan, Fred Pallem embrasse – après des hommages, par le passé, à André Popp, Charles Ives, Burt Bacharach, etc. –, l’œuvre de François de Roubaix, compositeur génial de musiques de films, pubs et génériques télés, disparu dans un accident de plongée, il y a 40 ans, à l’âge de 36 ans. À cet inventeur fou, à ce génie visionnaire, à sa musique aventureuse et pleine de vie, Pallem rend un vibrant et triomphant hommage. Il nous raconte.
Début des années 1980 – dans la bagnole direction les vacances, un gosse rêve de paysages oniriques, d’escapades colorées, à dos de bande-son futuriste, gorgée de vie et d’aventures. Sur la jaquette de la cassette, dans l’autoradio, s’inscrit ce drôle de nom – François de Roubaix – dont l’enfant ne sait rien, excepté son pouvoir à explorer des pistes, des sentiers inédits.
Aujourd’hui adulte, Fred Pallem, le boss du Big Band musclé et galvanisant, à tendance cinématographique, Le Sacre du Tympan, se rappelle : "
Mes parents écoutaient entre autres Gainsbourg, Mitchell, Elvis, Eroll Garner, François de Roubaix : un grand bouillon de musiques, dans lequel je distinguais à peine, gamin, les différents courants."
Un peu plus tard, la silhouette de ce dandy musical à particule se précise. L’enfant, fana de cinéma, colle scrupuleusement dans un cahier, des articles sur des films. Dans ses "fiches" découpées, ce nom réapparaît, comme par magie, aux côtés du réalisateur, des acteurs – composition musicale : François de Roubaix. Puis le temps fait son œuvre, l’oubli ensevelit de nouveau le nom, recouvert d’autres amours, d’autres routes en pagaille : passions dingues pour le rock, le jazz, les musiques classiques… Dans les tiroirs de la mémoire Pallem, de Roubaix sommeille…
Il s’éveille à nouveau, lorsque jeune adulte, Fred, étudiant au CNSM*, doit proposer pour sa classe d’atelier, un morceau. Parmi les évidences – Ornette Coleman, Eric Dolphy, et autres pontes du free jazz – un nom, quasi aux antipodes, surgit : De Roubaix. "J’adorais son génie mélodique, sa fausse simplicité, soutenue par d’infinies délicatesses", dit Pallem.
Plus tard, en 2008, le festival parisien, Jazz à la Villette, demande au chef du Sacre un programme musical autour du cinéma. À l’évident Ennio Morricone, il préfèrera De Roubaix, représentatif d’une classieuse french touch, un territoire encore vierge, à explorer. 2015 : pour célébrer les 40 ans de la mort de ce héros, dans un accident de plongée au large de Tenerife, il sort ce disque-hommage.
Un savant fou, un puits sans fond de musique.
À l’instar de Pallem, nombreux furent petits et grands à avoir frotté leurs oreilles au vent chaud, drôle et tendre de la musique de De Roubaix : sans le savoir, peut-être, nous avons tous en tête l’un de ses thèmes. Dans la mémoire collective, sifflotent ainsi alanguies, joyeuses, les BO des Aventuriers, du Samouraï, du Vieux Fusil, de L’Homme Orchestre, du psychédélique Chapi Chapo.
Compositeur fétiche de Robert Enrico et de Jean-Pierre Melville, génial créateur de musiques de pub, de génériques télévisés, ses travaux, une centaine de compositions au total durant une petite décennie (1965-1975), inspirèrent toute une génération de musiciens.
Dans le film
François de Roubaix, un portrait au présent, de Gaëtan Chataigner et Christophe Conte,
Émilie Simon, Sébastien Tellier, Rob,
Vincent Delerm, ou encore Nicolas Godin (Air), sacralisent son génie, se revendiquent de son précieux héritage. Aussi ému, le sorcier jazz Fred Pallem explique la signature "De Roubaix", inventeur visionnaire d’une véritable grammaire musicale :
"C’était un autodidacte complet, une sorte de savant fou, de Géo Trouvetou, un puits sans fonds de musique. Pionnier devant l’éternel, il fut l’un des créateurs du home studio. Dans son laboratoire, sa caverne d’Ali Baba, il jouait de tous les instruments, en provenance du monde entier, bidouillait ses machines futuristes. Il avait en outre, ce sens prodigieux des mélodies magnifiques qui tiennent sur un piano nu".
Personnalité solaire, beau garçon, séducteur, glamour et pop, aux commandes de son propre studio spatial, il sut créer une œuvre, où chaque son joue son rôle, où la musique façonne des paysages, des îles camouflées, entre poésie et recherche expérimentale. À qui sait l’écouter, il donne le goût de la liberté, celui du miroitement du soleil sur l’eau, du chatoiement des profondeurs, des bulles d’air et des algues fluorescentes, qui dansent. Passionné de plongée, François de Roubaix fut englouti par les fonds marins à l’âge de 36 ans. Cette disparition prématurée a contribué à l’émergence de son mythe…
Un disque amoureux
Aujourd’hui, Fred Pallem l’honore donc avec un disque joyeux, plein de vitamines, de cuivres rutilants et d’improvisations qui claquent. "J’ai choisi une liste de morceaux qui nous permettent de nous amuser, de nous envoler, entre fidélité et prises de risque", dit-il.
Sur ses pistes, le capitaine du Sacre, orchestre à géométrie variable, convie à la fête une ribambelle d’invités : Barbara Carlotti sur le suave
Boulevard du Rhum ; le duo Alexandre Chatelard/Alice Lewis
sur le tendre
Je saurai te retenir, aux paroles créées pour l’occasion
; Juliette Paquereau sur
Ariane Thread ; et
Philippe Katerine – évidemment ! – sur
Chapi Chapo.
Et puis, sur L’Atelier, résonne, comme surgie des abysses, la voix de François de Roubaix, joyeuse, optimiste, clairvoyante. Amoureux, euphorique et jouissif, désireux de grossir les rangs des "DeRoubaixphiles", le disque de Pallem nous ramène à l’enfance, nous incite à plonger sur les traces de ce génial inventeur, dans ses créations pailletées-acidulées, qui éclairent assurément le monde de couleurs plus vivantes.
Fred Pallem & Le Sacre du Tympan présentent François de Roubaix (Train Fantôme) 2015
En concert jeudi 19 novembre au New Morning
Pour aller plus loin sur François de Roubaix :
*Conservatoire National Supérieur de Musique