Son premier disque frappe fort : Pain-Noir, ex St. Augustine, débarque de Clermont-Ferrand avec douze chansons irrésistibles et minérales, douze titres pop-électro en français, où le granit s’allie avec les embruns, la nostalgie avec la lumière, la poésie avec des harmonies subtiles… On suit ses pistes.
Il y a des disques qui captent le cœur par la proximité familière de leurs paysages ; des pistes qui filent douces au gré de mots-amis ; des chansons – phrases aventureuses, harmonies voyageuses – qui nous emmènent sereins, joyeux, légers, mélancoliques, vers des contrées inexplorées.
D’une élégance rare, le premier disque de Pain-Noir accomplit ce miracle : celui de rappeler des airs intimes, inscrits dans les mémoires ; celui aussi d’éveiller des mondes nouveaux, au détour d’accords surprenants, de mots-accidents, d’arrangements audacieux…
Parmi ses douze pistes ou l'épopée d’une journée qui sinue de Pain Noir (à l’aube), titre inaugural, jusqu’à Pain Noir (le soir), en clôture, s’élèvent les couleurs, l’aridité d’un univers minéral, de granit et de lumières, les balbutiements d’oiseaux et le murmure des rivières, les embruns et les chants des marins…
L’œuvre naquit pourtant loin des rivages de l’océan : au milieu des volcans d’Auvergne, sur les vallons tendres du Massif Central. A Clermont-Ferrand, François-Régis Croisier, par ailleurs professeur des écoles, a donné vie à quelques rêves, et une poignée d’obsessions.
Avant de pétrir son pain noir, l’homme incarnait St. Augustine, héraut d’un folk américain pastoral aux accents précieux, en langue anglaise. Puis vint l’évidence, la fin d’un cycle, l’envie de tutoyer d’autres horizons. Il éclaire : "Je ne cherchais plus à m’inscrire dans la lignée de mes influences, dans une 'voie' identifiée, mais plutôt à trouver ce territoire qui me ressemble."
Couleurs bossa, du micro-lyrisme.
Ce rapprochement de soi-même implique un changement de langue, vers celle qu’il maîtrise le mieux : le français. En découlent naturellement des métamorphoses dans sa manière de poser sa voix, plus en retenue, qui l’exhortent à chercher du côté d’harmonies plus délicates. Et puis, ajoute-t-il : "En anglais, je me cachais derrière les mots. Ici, j’apparais clairement. Pour sauver ma pudeur, il me fallait trouver des subterfuges, des astuces, des histoires, qui me racontent sans me désigner nettement."
Seul, François-Régis, encouragé par les siens, façonne ses bijoux, illumine son texte de ses musiques, de ses couleurs : les chansons prennent vie, elles grandissent. Au projet qui éclot, il manque un nom. L’intuition surgit d’un pseudonyme à deux mots, symétriques. La pensée tenace trouve écho dans ce rêve, en forme de révélation : "pain noir", écrit sur les phalanges de deux poings serrés "Un signe, dit-il. Je n’ai pas cherché plus loin."
L’image, pseudonyme mystérieux, résolument anti bling bling, répond avec bonheur à l’aspect rocailleux de ses titres, à leurs contours ascétiques. "J’aime écrire des chansons 'jusqu’à l’os', trouver les justes ingrédients, avoue-t-il. Fanatique de bossa-nova, j’aime le minimalisme, orné d’accords tordus : une sorte de 'micro-lyrisme'". Le sortilège de ses chansons-aquarelles, irisées, finement cousues, opère ainsi, irrésistible : sous ses doigts, sous son chant, s’élèvent des mélodies imparables, des trouvailles sonores et poétiques, une mélancolie parée des rayons du soleil…