On l'a connue, il y a quatre ans, à travers un patronyme qui se réduisait à la lettre L. Si Raphaële Lannadère a repris depuis sa véritable identité, la fameuse lettre est toujours présente puisque c'est le titre de son deuxième album aux sonorités électro. L'habillage a peut-être changé, mais le vertige est toujours prégnant.
D'abord, une énigme. Là où l'on s'attendait à ce que les médias se précipitent sur ce deuxième chapitre musical, c'est pour l'instant un mutisme presque général et troublant. Peu de retombées dans la presse et surtout des radios aux abonnées absentes. L’intéressée n'en prend pas ombrage, préférant se retrancher derrière un tempérament combatif. "Cela va être la baston, mais j'aime ça" , précise-t-elle dans un élan insouciant.
Pourquoi s'étonne-t-on de ce traitement de défaveur ? Parce que rarement un premier disque hexagonal n'avait suscité une telle déferlante de la critique. Celle-ci ne se privait pas - à juste raison - d'emballements peu fréquents : "La chanson française, c'est L" ou "Il y aura un avant et un après l'album de L dans la chanson française" . Sur un piédestal, Raphaële Lannadère était même déclarée comme l'héritière promise de Barbara.
Certains lui ont fait aussi une réputation de chanteuse intello. Réducteur, car ce serait considérer cette étiquette comme une négation de sa personne, de son instinct et de ses intentions fulgurantes. En forme d'autodéfense et de pirouette, elle balance : "On peut écouter également ma musique en faisant le ménage" .
Entre-temps, la jeune femme de 34 ans a laissé tomber la lettre qui lui servait de passeport artistique pour reprendre son vrai nom. "A la base, j'ai pris ce patronyme parce que, quand j'ai commencé, il y avait déjà le chanteur Raphaël qui avait vendu plus d'un million d'albums. L était l’initiale de mon nom de famille et de celui de tous mes grands-parents. La symbolique m'a beaucoup plu, mais il était temps que je revienne à ma propre identité" .
Une envie d’ailleurs
Pour ne pas trop semer la confusion, Raphaële Lannadère a donc appelé son album L. Une manière de boucler la boucle. Épuisée par une tournée de 150 dates, elle a failli prendre un congé indéterminé. Des envies d'ailleurs, d'expérimenter des espaces plus libres comme l'écriture d'un petit opéra.
Mais elle a passé son permis de conduire et cela a changé la donne. Elle, si sédentaire auparavant, a désormais la bougeotte. Seule, au volant de la voiture prêtée par sa mère et qu'elle a depuis rachetée, elle a pris la poudre d'escampette pendant plusieurs mois. "J'ai beaucoup roulé. J'ai rejoint des amis dans les Pyrénées, le Lubéron et je me suis posée deux semaines du côté du mont Ventoux. L'urgence était là, j'ai eu envie finalement d'écrire ce disque. À chaque fois, je trouvais des havres accueillants où je posais mon ordi et mes synthés" .
Exit la tradition moderne et la mélancolie des langueurs automnales dont était imprégné Initiale. Si Elle flâne fait le lien entre les deux disques, l'humeur sonore opère une sorte de métamorphose inattendue. Qui aurait parié que Raphaële Lannadère, qui a co-realisé l'album avec son bassiste Julien Perraudeau, joue les funambules et sollicite une électro lorgnant du côté du trip hop ? " J'avais confié la direction artistique d'Initiale à Babx. C'est un type extra, un maniaque de travail, qui a besoin de s'approprier un projet pour donner sa vision des choses. Ce n'était pas initialement la mienne. Cela l'est devenue. Là, avec Julien, on a pensé le disque d'un bout à l'autre. Nous sommes allés vers une forme plus aboutie. Cela correspond à plein de choses qu'on aime en musique comme Son Lux, James Blake, My Brightest Diamond ou St Vincent" .
Un autre éclairage
Inutile de faire une fixette sur l'habillage des morceaux. La structure ne change pas, c'est l'éclairage qui les fait paraître différents en les baignant d'une lumière plus sophistiquée. Elle dit d'ailleurs : " Je n'ai pas fait autre chose que des chansons" . Des chansons à l'écriture majuscule, sensuelles et comme tombées du ciel un soir de pleine lune. Le mot est élégamment racé, le verbe se fait chair, la justesse du détail touche au cœur.
À nouveau, l'inspiration est mouvante, les plaisirs indistincts. Voix caressante et hypnotique, Raphaële Lannadère nous emmène au bord d'un gouffre environnemental (Phtalates), dans un fait divers pratiquement semblable, mais à l'issue moins tragique que Mourir d'aimer (Jeremy) ou dans les confins plus douloureux de la maladie de Charcot (Paradis).
Sur fond d'électro qui culbute avec une tarentelle, elle se penche sur la destinée de Rosario Corcetta, homme politique sicilien en lutte avec la Mafia (Gela). Entre rêves tourmentés (Dans mes sommeils), constat vachard (J'accélère) et effacement progressif des instants partagés (Mon étranger), le sentiment amoureux est brillamment exhibé dans un contexte intimiste.
Et puis, il y a une chanson majestueuse (Sur mon île), commande du Printemps de Bourges en 2012 pour un hommage à Lhasa et ici produite par Jeanne Added. " J'ai vu Lhasa une seule fois sur scène. C'était aux Bouffes du Nord pour son dernier concert parisien. Un moment intense. Et je pense que je m'en souviendrai jusqu'à mes 80 piges" . Impossible de ne pas abonder dans son sens.
Raphaële Lannadière L (Tôt ou tard) 2015
Page Facebook de Raphaële Lannadère