Avec 130 millions albums vendus au cours de ces cinq dernières décennies et un répertoire de 850 chansons interprétées en neuf langues, Mireille Mathieu n'a pas de soucis à se faire pour ses points retraite. Alors qu'elle publie pour la deuxième fois un disque de chants de Noël, l'insubmersible Demoiselle d'Avignon, 69 ans, reste un symbole made in France à travers le monde. Portrait.
Elle est née à la télévision un dimanche d'hiver 1965. Depuis cette incursion triomphale au sein du concours Le jeu de la chance - ancêtre de Nouvelle Star et consorts – le public put découvrir ce look devenu immuable. L'avantage, aujourd'hui, c'est qu'on la reconnaît illico quand on arrive dans la suite d'un grand hôtel parisien où le rossignol avignonnais a ses habitudes. Autour d'elle, une ribambelle d'assistant(e)s, prévenants et dévoués. Sa sœur Matite gère cette mini-équipe dans une apparente allégresse.
Assise sagement sur un canapé grand luxe, Mireille Mathieu a des feuilles volantes entre les mains. Des antisèches pour interview. Elles portent essentiellement sur son album de chants de Noël qui ressort dix ans après, agrémenté de deux inédits. Intérêt artistique un peu relatif. Pas pour Mireille qui érige son duo de la mythique chanson Petit Papa Noël avec Tino Rossi au rang de "pépite". Elle dit que c'est un "honneur", que "c'est la première fois que le grand Tino chante avec une femme", que ledit duo a été enregistré pour "un show des Carpentier en 1997". Elle nous surprend en train de faire la moue. S'arrête net. Interroge : "J'ai dit une bêtise ?" 1997, vraiment ? Rien de grave si ce n'est l'inversion des deux derniers chiffres. Elle est coutumière de ce genre d'erreurs. Comme aussi de confondre sa gauche et sa droite. "C'est pour cette raison que je ne conduis pas".
Une icône mais pas une diva
On était prévenu. "Elle n'est pas du tout diva". Elle est affable, s'exprime de manière volubile et à volume élevé. Accent provençal prononcé. Elle porte un gilet col Claudine aux motifs bavarois. Les yeux se brident quand elle sourit. Mireille Mathieu a un visage que la facilité ferait qualifier de particulier. Il est épargné – sans l'aide du bistouri – par le poids des ans.
Fièrement, la voilà qui livre ses secrets. "J'ai une alimentation très équilibrée, je fais attention à mon sommeil, je ne fume pas et je ne vais pas au soleil. Quand il le faut, je mets un voile comme les Japonaises". Et puis, il y a les cheveux, une bataille personnelle. Une coiffure à "la playmobil", a-t-on déjà entendu dans la bouche des mauvaises langues.
Avec un style pareil, ce n'était pas forcément gagné d'avance. Jamais, malgré des pressions incessantes, elle n'a accepté pourtant de toucher à une seule mèche. "J'ai fait toutes les coiffures inimaginables chez les Carpentier. Dans la vie, je suis bien comme ça. C'est mon label, on m'identifie de cette façon. J'ai eu à un moment donné une coupe à la Louise Brooks, mais ce n'était pas moi, le public aimait moins". Le public, c'est sa grande affaire. Elle n'en revient toujours pas de l'offrande de fleurs qui vient ponctuer ses tours de chant. "Personne n'a jamais vu ça". Elle aime être aimée et l'assume pleinement.
La femme est absolument sympathique, mais dans l'exercice de l'entretien, elle opte pour une forme de verrouillage. Des formules souvent toutes faites, scolairement apprises par cœur, et des sujets prémâchés. Certainement afin d'éviter une fâcheuse sortie de route. Elle se révèle adroite dans des apartés passe-partout dégoulinant de bons sentiments. Les clichés défilent. En vrac : "J'ai la chance de vivre de ma passion et de faire le tour du monde" ; "J'ai des amis musulmans, protestants, juifs et je les aime tous de la même manière" ; "Le soleil brille pour tout le monde".
Même s'il n'est pas envisageable d'obtenir cet aveu de sa part, Mireille Mathieu est souvent prisonnière du personnage dans lequel son mentor Johnny Stark l'a enfermé. "Je savais que j'avais tout à apprendre, j'avais des lacunes. Il m'a pris en main, m'a fait rencontrer les plus grands et amené dans un vrai tourbillon.""
A sa mort en 1989, en plus de ce douloureux vide à combler, elle a découvert qu'elle n'avait pas qu'un entourage bienveillant. Période sombre dans laquelle la solaire Mireille a connu la dépression. "J'ai dû faire face à de nombreux problèmes. Je ne peux pas les énumérer, car c'est trop privé. Ce qui m'était tombé dessus était énorme. En quelque sorte, j'ai été dans l'obligation de répartir à zéro". On tente d'en savoir plus sa vie personnelle, on ne récolte que le strict minimum syndical. "Je suis quelqu'un d'introverti, c'est mon jardin secret. Il y a suffisamment de choses inventées sur moi".
Tout contrôler
Internet l’empêche de tout pouvoir contrôler et ça l'affecte. Pour elle, c'est plus problématique que les railleries habituelles dont elle est victime. "Si on parle de moi, c'est que je dois déranger". Il n'empêche que Mireille Mathieu a l'assignation en justice plutôt automatique. Parfois, elle a le verdict en sa faveur. Parfois, elle est déboutée.
Évoquer Poutine, elle y consent. Un peu à reculons. "Je ne dirai jamais de mal de lui, car c'est le président d'un grand pays et d'un peuple que j'aime. Il adore ce que je fais, Monsieur Poutine". Pas moyen d'échapper, non plus, au traditionnel : "Je ne fais pas de politique". Sortie calibrée pour ne pas la promener sur le terrain glissant de l'actualité. On la préfère donc davantage mordante, notamment pour fustiger les artistes ayant recours au prompteur. "On n'a pas la même intention, le même regard. Et le regard, c'est le reflet de l'âme".
Il ne faut pas lui parler de la grande famille de chanteurs français, elle est inexistante selon elle. "Il y a tellement de jalousie. Tout l'inverse de l'étranger où lorsque je fais des télévisions, il y a un respect mutuel entre artistes". Là où la chanteuse à l'aura internationale baisse la garde, c'est à propos de la mort. Elle en a une peur bleue, mais s'en arrange à travers une fuite assumée. Enfant, elle s'est longtemps crue hors d'atteinte. Jusqu'au jour où son père, tailleur de pierre, l'a emmenée au cimetière avec lui. "Il m'a dit de ne pas bouger. J'ai désobéi et j'ai vu ce que je ne devais pas voir. Cela m'a choquée. C'est à ce moment-là que je me suis dit que je n'étais pas immortelle. Depuis, je ne veux pas penser à la mort".
L'entretien s'achève. Elle s'enquiert de nos racines. On lui répond Lille. Elle bondit du canapé. Lève les mains au ciel. Lâche : "Comme maman, il faut qu'on l'appelle". Mireille Mathieu saisit le combiné de la chambre. Compose le numéro. Et nous passe donc Marcelle, son "héroïne", 94 ans. Ultime instant aussi surréaliste que touchant.
Mireille Mathieu Noël (Production Abilène disc/Sony music) 2015
Site officiel de Mireille Mathieu