Avec son 6e album, Zoo, Françoiz Breut creuse son sillon avec toujours plus d’aisance et d’originalité. Avec l’aide de son fidèle complice Stéphane Daubersy et de l’Anglais Adrian Utley (Portishead), la chanteuse signe son album le plus vivant, drôle et coloré à ce jour. Son auteur s’en explique.
"J’ai une araignée dans la tête/ Échappée d’une plante exotique/ Ma muse a compté toutes ses pattes/ Glisse sur une toile géométrique/ Elle attend sa proie qui tombera/ Au bon moment dans ses filets de soie…" La première strophe de la chanson titre Zoo, belle et étrange mise en abyme de l’inspiration poétique, donne le ton. Après le minimalisme mélancolique de La Chirurgie des sentiments (2012), place aux métamorphoses joyeuses, à la métaphore animale, aux hasards heureux de l’inspiration.
"Après certains albums, j’ai eu envie de tout arrêter, explique-t-elle. Après le précédent, j’avais au contraire très envie de continuer. Mais je n’avais pas de thèmes précis, quelques idées saugrenues qui me venaient de mes lectures." Le salut est venu d’un va-et-vient constant entre la musique et l’écriture en compagnie de son acolyte Stéphane Daubersy, multi-instrumentiste et compositeur déjà présent sur les deux albums précédents. "J’étais un peu coincée, et me suis rendu compte que ma plume se nourrissait de la musique. Nous partions parfois d’un rythme simple, puis développions les chansons petit à petit, par ajouts successifs."
Production "bristolienne"
Pour donner corps à des chansons aussi évocatrices et sensibles, il fallait un réalisateur de la trempe d’Adrian Utley. L’Anglais, guitariste de Portishead et collaborateur, entre autres, de The Coral ou Baxter Dury, a su amplifier les correspondances poétiques entre sons, chant et textes, sans révolutionner le propos. "Avec Adrian, c’est une longue histoire : je l’avais rencontré à un festival à Bristol dans lequel il m’avait invité à jouer. Quand je lui ai proposé de produire ce disque, sa réponse a été quasi immédiate. L’idée initiale était de s’éloigner de nos maquettes, mais il voulait vraiment respecter notre travail, capter au mieux mes musiciens en live."
Le résultat le plus "visible" musicalement, tient dans le superbe travail sur la batterie, ample, soyeuse et souvent tribale (Écran Total), et les claviers omniprésents, donnant une tournure rétro-futuriste à l’ensemble. "Dans le studio d’Adrian, à Bristol, il y avait une foule de synthés vintage, de claviers analogiques. Lui et Stéphane, tous deux passionnés, s’en sont donné à cœur joie, et moi qui ne suis pas du tout une spécialiste, je me suis prise au jeu !"
Zoo est aussi le premier disque de Françoiz sur lequel la chanteuse s’est impliquée dans le mixage. Une petite révolution. "Jusque-là, les réalisateurs avec lesquels je travaillais souhaitaient faire ce travail seul. Mais Adrian tenait à ce que nous soyons là. Nous avons travaillé chaque son, chaque couleur en détail. C’était passionnant."
Liberté joyeuse
Au fil des onze titres qui composent ce nouvel album, une forme de liberté joyeuse s’exprime. Rarement la Bruxelloise d’adoption, toujours illustratrice à ses heures, n’aura paru aussi sereine et joueuse, dans la voix (très en avant) comme les textes. "Nous voulions quelque chose d’enlevé, de soutenu, et surtout, ne pas se mettre de barrière, être davantage dans la fantaisie, explique-t-elle. Je suis allée naturellement vers quelque chose de plus drôle, ludique : surtout, le moins d’autocensure possible !"
L’excellent Jardin d’Éden en est le meilleur exemple : le mythe d’Adam et Eve devient un tableau un peu art brut où un Adam au "bronzage imparfait" batifole avec Ève, "tranquilles et décomplexés", sur fond de bruits de jungle ! "Je trouvais l’histoire originale un peu trop sérieuse, explique-t-elle. J’ai donc choisi de raconter l’histoire de deux personnes du sexe opposé qui prennent du bon temps sans se préoccuper des autres ou de la météo."
Après 20 ans de carrière, la jeune femme au charme discret et au grain de voix frêle du Twenty-Two Bar de Dominique A s’est presque totalement affranchie de ses héros. Le fruit d’un parcours sans concessions depuis ses premiers pas dans l’écriture avec À l’aveuglette, en 2008. "Je commençais à m’ennuyer de ce que mes auteurs me proposaient. J’ai décidé d’écrire à ce moment-là, contre vents et marées, en tentant de me détacher de ceux que j’idéalisais un peu trop, comme Dominique. Je voulais écrire de manière plus simple et directe, je me suis dit : 'allons-y, lâchons-nous !'" Avec ce Zoo charnel et dionysien, l’ombre tutélaire du grand Dominique n’a jamais semblé aussi loin.