Boris Bergman, une vie de chansons

Boris Bergman, une vie de chansons
Boris Bergman © S. De Bourgies

Il en a écrit plus de 1000. Des chansons adaptées de standards américains ou anglais, des chansons pour le cinéma, des tubes pop, des morceaux de pur rock, de la variété et du reggae… Et 50 ans après des débuts fracassants avec Rain and tears, tube planétaire écrit pour Aphrodite’s Child, Boris Bergman se voit compilé en 64 titres sur un triple CD en trois chapitres. L’occasion d’aller retrouver chez lui l’homme au fedora et à la veste en cuir aussi bien tanné que le sien (de cuir) après quelques décennies passées dans la jungle du showbiz.

RFI Musique : Votre premier tube a été Rain And Tears pour Aphrodite’s Child, le groupe de Demis Roussos et Vangelis…
Boris Bergman : Oui. Durant la première période de ma vie, les gens faisaient des adaptations. Les chanteurs français ne faisaient que ça. Ils n’enregistraient que des adaptations. Pour Richard Anthony, je crois que j’ai écrit une seule chanson originale, tout le reste c’étaient des adaptations, dont Maggie May de Rod Stewart. Il y a des gens pour lesquels j’ai définitivement dit non parce que je n’avais pas envie. Claude François, je le trouvais trop désagréable. Il m’avait invité à déjeuner et il a giflé son secrétaire devant moi. Je n’aime pas qu’on humilie les gens, et je suis parti. Avec Rain and tears, je suis devenu un petit peu à la mode, comme on disait. Là, on m’a invité dans la cour des grands dans laquelle il y avait à l’époque, Pierre Delanoé, Franck Gerald, Eddy Marnay, etc.

Vous avez passé des années à écrire les textes de Bashung, dans sa période "pré mallarméenne", dont bien sûr le hit Gaby ! Oh, Gaby
Pour Gaby, j’avais envie de parodier le duo de Tammy Wynette et George Jones qui commence par un curé disant : "Tammy, acceptez-vous de prendre pour époux George Jones ?", et lui raconte que vivre sans elle, c’est comme une tarte aux noix de pécan sans noix de pécan. Après, il demande la même chose à Tammy Wynette qui dit que vivre sans lui, c’est comme une soupe sans sel, comme un cosaque sans pogrom, ce genre de trucs. Et à la fin, évidemment, il les déclare unis par les liens du mariage. Cette chanson écrite au premier degré est quand même magnifique. Donc, j’ai eu envie de faire ça. Et Alain buvait beaucoup de bière, les toilettes communiquaient directement avec le studio. À un moment, il se barre pour aller pisser, pendant ce temps-là j’écris : "Alors à quoi ça sert la frite si t’as pas les moules / Ça sert à quoi le cochonnet si t’as pas les boules".
 
Autre titre phare de votre compil, Lèche-bottes blues d’Eddy Mitchell
La première mouture du Lèche-bottes blues, je l’avais écrite pour Bashung. Pardon Mr Eddy, mais c’est la vérité. Je l’avais juste montré à Alain. J’écrivais des trucs, je lui donnais des bouts de papier avec deux ou trois lignes de textes. De temps en temps, il partait dessus. D’autres fois il oubliait. Là, je lui ai donné le départ quelque temps avant notre première rupture. C’était évident que c’était le début de la fin. Bref, j’ai remis le texte de Lèche-bottes blues dans mes valoches. Et puis, le hasard a voulu que j’aille à Cannes pour Jésus de Montréal dans lequel j’avais un petit rôle. Et un midi, de retour de la conférence de presse de Denys Arcand avec tous les journalistes, j’ai écrit Lèche-bottes blues. Comme la productrice avait produit un film avec Eddy, elle me dit : "On va appeler Eddy pour lui dire bonjour", et je lui dis : "Tiens, j’ai fait un texte". C’était la première fois que j’ai dit à Eddy que j’avais fait un texte, sans attendre d’avoir la musique de Papadiamandis. Et il s’est trouvé qu’une semaine après, il avait une musique sans paroles. Et Eddy m’a dit : "Écoute, j’ai essayé le texte que tu m’as envoyé et ça va très bien dessus". Il l’a enregistré à Londres, c’était l’album Ici Londres, Ça s’est fait tellement vite que j’ai découvert la chanson à la radio. Je n’ai même pas eu le temps d’avoir la maquette et de l’écouter, comme ça se passe normalement.
 
Parlons aussi de Fio Maravilha, la chanson brésilienne de Nicoletta, un énorme succès populaire…
J’avais eu un article dans Manchette, la revue des Brésiliens de Paris. Après, j’ai eu tous les Brésiliens qui venaient pour que je leur écrive des chansons. Mais le problème des Brésiliens, c’est que quand ils disent qu’ils te donnent rendez-vous à trois heures, ils viennent à trois heures, mais la semaine d’après. C’est infernal. Il y en a deux ou trois avec lesquels je n’ai pas poursuivi, car je n’en pouvais plus. Je n’avais pas de nouvelles du mec pendant quinze jours et tout d’un coup, il arrivait à l’improviste. Ils m’ont rendu fou ! Grâce à cette adaptation, j’ai fait Caramba de Jorge Ben et pas mal de versions françaises de chansons brésiliennes intéressantes.
 
Vous avez fait chanter Mastroianni ?
Il parlait, en fait. J’avais fait la version anglaise et la version française de Monologue pour Anna. La version française a été dans un film de Nadine Trintignant qui s’appelait Ça n’arrive qu’aux autres. Il était hyper cool, hyper sympa, ayant des vrais problèmes avec la langue anglaise. Avec le français et l’espagnol, ça allait. Mais l’anglais, pour lui, c’était un cauchemar. J’étais souvent à Rome, où j’ai fait le disque avec Anthony Quinn, un beau souvenir.
 
Vous avez une idée de ce qui sera retenu dans ces plus de mille chansons que vous avez écrites ?
Déjà, il y a des chansons qui se portent encore mieux que moi. Rain and tears, sortie en 1968, continue à faire son chemin. Elle a vraiment fait beaucoup de chemin. Et puis en Français, il y a des trucs que j’ai faits pour Alain, pour Paul Personne, qui continuent d’avoir une belle vie. Pour le reste, je ne peux pas dire, je ne sais pas ce qu’il va se passer. Lèche-bottes blues, je pensais que c’était une chanson ponctuelle. Et elle a l’air de vouloir durer. Il y a des chansons qui n’ont pas forcément été des succès, mais qui continuent à avoir une vie un peu parallèle, comme Malédiction, comme certaines de Paul Personne. Ça, c’est très mystérieux. Comme si la chanson, une fois qu’elle a bien été manipulée, disait "bon, excusez-moi, je suis allée là où on me disait d’aller. Eh bien maintenant je vais avoir ma vie propre". Telle la carpe qui n’est pas encore farcie, elle remonte le courant et puis elle réapparaît, tu ne sais pas pourquoi, tout ça est très mystérieux. En général, sur la longueur, l’inconscient collectif ne se trompe pas. Quand je rencontre des gens complètement extérieurs à nos préoccupations, ils me parlent de Bashung et citent souvent Imbécile. Je suis vachement content parce que c’est une de mes chansons préférées avec Alain. Roda-Gil est parti… Tu regardes les auteurs qui sont sortis à peu près en même temps que Roda et moi, il n’y en a plus. Donc j’ai vraiment l’impression d’être le dernier des Mohicans, par moments. 
 
Compilation Boris Bergman (Universal Music) 2016