Miossec, toujours en mouvement

Miossec, toujours en mouvement
Miossec © Yann Orhan

Alors qu'on peine encore à se remettre de la majesté des chansons de son précédent album Ici bas, ici même, Miossec ne s'est accordé aucun répit. Le voilà déjà de retour aux affaires avec Mammifères, un disque instinctif, au propos existentiel et qui fait la part belle à l'accordéon. A nouveau, une éclatante réussite.

RFI Musique : Ressent-on la pression après une telle critique dithyrambique pour le disque précédent ?
Christophe Miossec : Évidemment. C'est formidable de retrouver cette forme d'anxiété, de manque d'assurance. Je trouve ça très sain par rapport à moi-même. Ce qui a été vite rassurant, c'est de voir tous ces gens avec la banane en concert. J'avais l'impression de faire du bien. Au moins, on ramène ça chez soi. Même si la critique s'y est totalement retrouvée, cela n'aurait pas été honnête de faire un disque dans la même mouvance ou avec les mêmes ingrédients. Je veux garder ça intact pour pouvoir me déplacer dans le temps.

… d'où cet album né dans la spontanéité ?
Heureusement que j'écris tout le temps pour avoir des biscuits. Je n'aurais pas pu tout faire tout de suite. Avec l'âge, on devient laborieux (rires). Je n'ai presque plus envie de rupture, je veux continuer ce métier-là de façon intensive. Quand je vais me coucher le soir, je me sens à peu près utile. Au cours de l'été dernier, j'ai tourné avec les deux formations. C'était un dédoublement légèrement troublant.
 
Le point de départ, c'est la soirée hommage à Rémy Kolpa Kopoul*, voix historique de Radio Nova ?
C'est Hakim Hamadouche, le joueur de luth de Rachid Taha, qui m'a présenté Mirabelle Gilis. Elle vient du monde de l'improvisation et c'est quelque chose dans laquelle j'avais envie de me plonger. Toute cette équipe venait d'autres horizons et j'ai ressenti le besoin d'aller me tremper là-dedans. Dans la foulée de cette soirée, on a fait des répétitions de huit et douze heures. Je n'ai pas l'habitude pourtant (rires). Mais là, il y a eu comme une sorte de vertige qui m'a pris. J'ai amené les chansons au fur et à mesure.
 
Vous êtes timide et néanmoins un homme de rencontre...
Bashung disait qu'on pouvait être extrêmement aventureux tout en étant timide. Je n'ai jamais été un timide asocial. Après, c'est certain que les dîners en ville, ce n'est pas pour moi. Il y a un toujours un moment où je risque de dire n'importe quoi, donc autant éviter.
 
Le parti pris acoustique s'est-il imposé naturellement ?
Acoustique mais il y a quelque chose de faussé. On donne cette illusion-là. Le violon et l'accordéon dépendent des pédales, il n'y a pas une seule guitare acoustique. C'est aussi tout le contraire de la production actuelle avec des voix un peu éthérées vers des nappes de synthé. Je suis un peu à contre-courant de l'époque.  S'il y a un an on m'avait dit que j'allais faire un disque d'accordéon, j'aurais fait une tête bizarre. C'est Johann Riche qui m'a fait aimer sa façon de jouer de cet instrument. Lui, déteste l'approche musette de l'accordéon.
 
Présenter toutes vos nouvelles chansons largement en amont de la sortie du disque, c'est une première chez vous ?
Je ne l'avais jamais fait de façon aussi radicale. Ne proposer des concerts qu'avec des nouvelles chansons que les gens découvrent, ça ressemble à un premier disque. On ne connaît pas les réactions, on ne sait pas comment ça passe. Il y a une part d'inconnu qui est assez excitante. Cela remet les compteurs à zéro.
 
Pourquoi chantez-vous assis ?
Tout le monde pense que j'ai des problèmes de jambes ou de mobilité. En fait, c'est parce que Johann jouait assis. Donc cela permet de faire cohésion. Et puis, ça remet le chanteur à son niveau. D'habitude, il est constamment mis en avant. Là, tout le monde est sur le même pied d'égalité.
 
La mort commence à rôder dans votre répertoire...
Tu arrives à un âge où ça tombe autour de toi. Je ne m'y étais pas encore collé parce que j'avais déjà un propos assez pessimiste dans mes chansons (rires).
 
Ouvrir l'album par On y va, ce n'est pas innocent ?
C'est la deuxième chanson que j'ai apportée. Cela décrivait ce qu'on était en train de faire avec ce projet. Quand j'ai monté cette petite formation, des amis de longue date ont cru que j'avais pété une durite. On y va, ça veut dire aussi provoquer une rupture avec notre trajet individuel. Il ne faut pas essayer d'éviter les regrets.
 
Vous faites allusion aux attentats parisiens dans plusieurs chansons (La vie vole, Le bonheur, L'innocence). Un passage obligatoire ?
Faire un disque que sur ça, cela aurait été idiot mais il est difficile d'en faire abstraction. Il y a comme un sentiment de responsabilité. On ne peut pas aller en concert sans qu'il y ait cette image-là dans la tête, on ne peut plus faire sans. Comment aborder un tel sujet pour que la chanson soit en même temps indépendante des événements ? Cela dépend de la manière dont on s'y attelle. Il ne faut pas que cela devienne inaudible.
 
La chanson qui s'intitule Papa :c'est une déclaration ?
C'est une chanson sur les rapports entre mecs. Presque comme un objet pratique. Comment des mots aussi simples ne sont pas dits ? Mon père est venu en concert mais on n'en a pas parlé. Il avait  juste le sourire au coin. Il n'avait de toute façon pas besoin de cette chanson pour le savoir. Je n'ai pas ce problème avec lui, il a toujours été bienveillant. Mais il y a tellement d'hommes qui passent leur vie à régler leurs comptes avec leur père. C'est un boulot tellement épuisant.
 
Qu'avez-vous hérité de lui ?
On est tous les deux distraits comme ce n'est pas permis.
 
Vous avez été la plume des derniers succès de Johnny Hallyday. Qu'est-ce qui vous rapproche tous les deux ?
Il n'est pas non plus le dernier pour foutre le bordel dans une soirée. Sur mon premier album, il y avait une reprise de Johnny. Il a fait son service militaire en Allemagne avec mes cousins sous les ordres de mon oncle. Quand j'étais gamin, il était en photo avec eux dans l'album de famille. Il a toujours été là, en fait. Je ne me pose pas de questions avec lui. Quand il me le demande, je me mets au boulot pour lui. C'est un sacré bonhomme. Il y a chez Johnny une gentillesse et une attention de l'autre qui sont assez bluffantes.
 
Par son biais, vous avez même eu une Victoire de la musique...
C'était jouissif sachant que je n'en aurai jamais par moi-même. Je ne pense pas que j'ai la carte dans ce milieu. Et quand vous avez Juliette Gréco qui termine son tour de chant par votre chanson (Merci, ndlr), c'est une telle autre joie.
 
Dix albums depuis Boire en 1995. Une explication à cette production frénétique ?
C'est lié à ma façon artisanale de faire ce boulot-là. J'ai toujours eu une légèreté dans la production, je n'ai jamais eu de gros moyens, je n'ai pas l'angoisse de la feuille blanche. Donc cela permet d'être plus rapide. Et puis, je ne peux pas m'en empêcher (rires).
 
*Remy Kolpa Kopoul : journaliste et animateur de Radio Nova, décédé brutalement le 3 mai 2015
 
Miossec Mammifères (Columbia / Sony) 2016
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