Pauline Croze et la vague brésilienne

Pauline Croze et la vague brésilienne
Pauline Croze © Léonce Barbezieux

Hors de ses sentiers habituels pop-folk, la brunette Pauline Croze s’offre aujourd’hui une escapade chaloupée, avec un disque amoureux de reprises de standards de la bossa nova, en portugais et en français, de Nougaro à Jobim, de Moustaki à Chico Buarque. L’occasion de revenir, de façon non exhaustive, sur les riches relations qu’entretient la chanson française avec la bossa nova, et plus largement, les couleurs musicales du Brésil. Tout un voyage !

Sur les planches de La Mano, à Paris, le 25 mai dernier, elle se déhanche, sourit, s’habille de sons lumineux, se pare de musiques tropicales, qui lui siéent bien, s’enroule de ces rythmes chaloupés, dont on n’avait pas l’habitude de la voir vêtue… On connaissait la brunette Pauline Croze pour ses chansons folk-pop-rock, à tendances groove.

La voici de retour avec un disque amoureux d’hommages à la bossa nova. Sur ces pistes de géants, elle emprunte la romantique Rua Madureira de Nino Ferrer, se frotte aux effluves doux et impressionnistes du Jardin d’hiver d'Henri Salvador, surfe sur les mots bouillonnants, les accents-couleurs des Eaux de Mars jaillies d'Antonio Carlos Jobim, traduites par Georges Moustaki. Elle décrit les hanches qui se balancent de cette fille d’Ipanema, en français par Eddy Marnay, incarne avec Flavia Coelho, cette "demoiselle différente" (Essa moça tá diferente).

 
Elle s’exalte aussi sur l’ivresse enchantée du Tu verras de Claude Nougaro, d’après O Que Será de Chico Buarque, s’envole en deux langues sur Você Abusou, et son adaptation, Fais comme l’oiseau, de Michel Fugain, honore le Matin d’un Carnaval (Luiz Bonfa), et la tristesse infinie (À Felicidade) avec Vinicius Cantuaria (Jobim/Moraes), tirés du film Orfeu Negro de Marcel Camus…
 
Bossa, l'art de la chanson

Ces monuments brésiliens, ces bossa, loin de les murmurer, en une caresse d’usage, Pauline Croze les chante à gorge pleine, les aborde fraîche, frontale, spontanée, avec des chœurs yé-yé, un esprit pop. "De cette musique un peu périlleuse, un peu surannée, j’aime la profondeur sous les aspects aériens, cette façon douce-amère d’esquiver les inquiétudes de la vie, de les ramener à la lumière, confie-t-elle en sortie de scène. J’ai abordé ce répertoire, oreilles neuves, dans un état d’esprit d’innocence". Pour la demoiselle, la bossa comme la chanson française possède ce côté minimaliste : un porte-clefs, un fétiche, à conserver près du cœur.

Et puis, lors de sa reprise de Samba Saravah, d’après Samba da Bençao,bande originale d’Un homme et une femme de Lelouch (1966), un invité de marque brave la foule pour donner la réplique à Pauline : il s’agit du légendaire Pierre Barouh, créateur de ce titre mythique, premier ambassadeur de la bossa naissante, en France, à l’orée des années 1960, et fondateur du label Saravah.
 
Dans les coulisses de La Mano, ce héraut du Brésil en France raconte : "Les Brésiliens manient mieux que quiconque l’art de la chanson : une œuvre, modeste, qui glisse sous la porte, se faufile, qui accompagne le quotidien, éclate au grand jour, et se bat parfois contre les injustices, telle cette chanson de Chico Buarque, Apesar de você, censurée durant la dictature, devenue hymne de la résistance".
Une centaine de chansons françaises inspirées du Brésil

Les chansons glissent sous la porte… et traversent les océans ! Avec la brèche ouverte par Barouh, les couleurs brésiliennes irriguent ainsi la musique française : une explosion, de plus d’une centaine de chansons, pour le meilleur… et parfois pour le pire, lorsqu’elles servent le folklorisme le plus kitsch.
 
C’est – en vrac et de manière non exhaustive – Si tu vas à Rio (Madureira Chorou) en 1958 par Dario Moreno ; Quelle Histoire ! de Jeanne Moreau (1970) ; la surprenante version Samba de Verão, chantée en allemand (Summer Samba), par France Gall ; c’est Sacha Distel qui met le feu avec son Incendie à Rio (1966) ; Annie Cordy, en reine de carnaval (Tata Yoyo, Maria de Bahia, etc.) ; la Choupetta de Maurice Chevalier en 1940 (Mamãe eu quero) ; Patrick Bruel et Chico Buarque sur Samba em Preludio (2009) ; c’est Bernard Lavilliers ; Brigitte Bardot sur C’est une bossa (1970) ; c’est Qui c’est celui-là, de Pierre Vassiliu, en 1974 ; ou encore l’indétrônable Bamboula de Carlos (1971), inspirée de Festa para um rei negro, hymne de l’école de samba Salgueiro. Marcel Amont, Charles Aznavour, Serge Gainsbourg, Juliette Greco, Françoise Hardy, Jean-Louis Murat, etc. firent également danser leur poésie sur des rythmes samba. *
Pour l’écrivain Jean-Paul Delfino, auteur de livres de référence sur la musique brésilienne (Couleurs Brasil, Brasil : a musica, Bossa Nova Brasil) cet amour musical s’est bâti sur une fascination historique, teintée d’une pointe de colonialisme, de la France envers le Brésil, pays de l’or, des diamants, dépeint dans les pages de Rousseau, de Montaigne. "À l’inverse, tout Brésilien bien né se devait d’avoir séjourné en France, pays de la culture et des droits de l’homme", poursuit-il.
 
Ainsi, dès le début du XXe siècle, résonnent dans les dancings du Tout Paris, les accents joyeux et virtuoses du choro, ce jazz brésilien, apporté par les Batutas, et leur chef d’orchestre Pixinguinha. Depuis, France et Brésil valsent ensemble, dans les rues de Paris… Une union, au beau fixe, pour une musique métisse, et inédite, portée par trois chantres, trois papes, les plus fidèles à l’esprit, d’après J.P.Delfino : Nougaro, Barouh et Moustaki.
Et aujourd’hui ? Les héritages ne manquent pas : c’est Pauline Croze ; c’est le groupe Nouvelle Vague, et les ballades pop-bossa de Séverin ; ou encore les escapades gracieuses du duo Aurélie et Vérioca, jolis voyages en chansons, pleins de pertinence et de charme, à dos de samba. La langue de Molière sur un air de bossa…

Pauline Croze Bossa Nova (Un plan simple/Sony) 2016
Site officiel de Pauline Croze
Page Facebook de Pauline Croze

Pour en savoir plus :
*Merci à l’excellent site bossa nova brasil pour le recensement des sambas reprises en France.