Dominique Blanc-Francard, un studio pour quinze

Dominique Blanc-Francard, un studio pour quinze
Dominique Blanc-Francard © Bertrand Guay

Cinquante ans de musique, ça s’arrose ! C’est depuis 1963 que Dominique Blanc-Francard met sa patte dans le son des artistes. Ce jubilé se célèbre par un ouvrage, Itinéraire d’un ingénieur du son, et une palpitante aventure discographique, It’s A Teenager Dream : quinze titres emblématiques des années 1960, interprétés par quinze artistes, dont Françoise Hardy ou Benjamin Biolay. À l’ancienne, mais avec le son d’aujourd’hui.

Il est une légende. Une légende du rock. Une légende de la pop. Une légende de la chanson. Dominique Blanc-Francard est ou a été derrière les manettes pour Pink Floyd, T. Rex, Nougaro, Ferrer, Daho, Robert Palmer, Stephan Eicher, Aubert, Biolay, Raphaël, et cetera. Beaucoup de cetera. Il faut dire que son aventure avec le son commence dès 1963, quand il entre au studio ETA Gaffinel.
Dominique Blanc-Francard naît en septembre 1944. Son frère Patrice (devenu journaliste et producteur) a alors deux ans. Son père est ingénieur du son à la RTF (Radiodiffusion Télévision Française) et sa mère, pianiste. "Grâce à elle, j’ai été élevé au son de la musique classique, se souvient DBF : principalement Chopin. Mon frère écoutait beaucoup de jazz : King Oliver, Bix Beiderbecke… Vers 1958, j’aimais Gerry Mulligan, Art Blakey…" À cette époque, Dominique joue de la guitare, mais ne s’intéresse pas du tout au rock'n'roll : "Mon déclencheur, ça a été Les Chaussettes Noires avec Tu parles trop, début 61."

Commence alors pour DBF une première aventure musicale : en 1962, il devient le guitariste des Pingouins, rejoignant ainsi Les Chaussettes Noires, Frankie Jordan et Johnny. Quand on lui demande pourquoi aucun des quinze titres de It’s A Teenager Dream ne reprend un rocker français aussi digne d’attention que Ronnie Bird, Noël Deschamps ou Moustique, sa réponse est simple : "Parce qu’avec cet album je suis parti vers les V. O. des morceaux. Vers des phares. Et les artistes français de cette époque n’étaient pas pour moi des phares. C’étaient des copains… Ils faisaient la musique que nous faisions…"

Jeune ingé son
En 1963, sur les traces de son père, DBF délaisse le service actif de la musique pour aller regarder derrière. Le studio ETA Gaffinel est "une minuscule cabine, avec un baffle posé contre le mur, un micro, une piste…" Dominique découvre, juste après, les premiers magnétos 4-pistes… À partir de 1971 et jusqu’en 1974, il partage la folle aventure du château d’Hérouville : jeune ingénieur du son, il voit passer dans ce studio Elton John, les Grateful Dead et les plus grands réalisateurs du moment, dont Tony Visconti. Il en profite pour enregistrer en 1972 son unique album solo : Ailleurs.

Ensuite, les studios se succèdent : Davout, Ferber, L’Aquarium, Continental. En 1981, arrive le magnéto 32-pistes… À partir de 1984, DBF devient le mixeur incontournable de la pop, entre autres pour Elli Medeiros et Ramuntcho Matta (Toi mon toit)… Mais l’envie le tenaille depuis longtemps de devenir responsable de l’artistique, de réaliser.
                                                                                                                                     
Incontournable Stephan Eicher
Ce sera chose faite en 1991 avec le mythique Engelberg, sixième album de Stephan Eicher, enregistré dans le casino transformé en studio du village bernois d’Engelberg. Une fois l’album fini, un banquet est organisé pour des journalistes. "La table était couverte de produits locaux, dont de la viande des Grisons, se marre Blanc-Francard. Avec Stephan, nous avons fait croire que le grison était un animal. Stephan l’a même dessiné sur une nappe… La moitié des gens l’ont cru… " Un clin d’œil que l’on retrouve dans son Itinéraire d’un ingénieur du son : "Ce bouquin n’est pas une autobiographie, souligne DBF. Plutôt le récit de cinquante ans d’anecdotes."

Stephan Eicher, justement, interprète, pour It’s A Teenager Dream, l’un de ses titres les plus émouvants : la reprise de My Funny Valentine, d’après Chet Baker, en 1952. Sobrement accompagnée, sa voix vibrante, à contre-pied de celle de Baker, vous prend aux tripes : "Nous avons enregistré ce titre en trois prises seulement, précise DBF. Avec cet album, j’ai redécouvert les fondamentaux : il faut s’amuser, aller vite, enregistrer live, faire jouer tout le monde dans la même pièce. Une bonne performance, c’est quand le public se rend compte que l’artiste se met en danger."

 
Autre prise rapide, autre grand moment : You’re Sixteen, de Johnny Burnette, popularisé par Ringo Starr en 1973 et ici interprété, avec un swing de fou, par Hubert Mounier, inventeur de L’Affaire Louis Trio. Ce titre bâtisseur de bonheur est sans doute le dernier qu’ait enregistré Hubert avant sa disparition en mai 2016.
 
Il faudrait encore évoquer That’s All Right Mama, par un Biolay étonnamment sexy, The World We Knew de Sinatra, porté par l’ébouriffante performance vocale de Sinclair (alias Mathieu Blanc-Francard, son fils), ou encore Bye Bye Love des Everly Brothers, par Jean-Louis Aubert… Ce rêve de teenager pourrait durer longtemps, longtemps…

Un regret ? "J’ai rêvé de Hello Mary Lou dans la version de Ricky Nelson, avec le solo de guitare de James Burton. Mais je n’ai pas trouvé l’interprète…" Pas grave, il figurera dans un volume 2 ! "Non, réplique DBF, définitif. Il n’y aura pas de volume 2… " Dommage.

L’album : Dominique Blanc-Francard et al. It’s A Teenager Dream (Parlophone/ Warner) 2016

Le livre : Dominique Blanc-Francard et Olivier Schmitt It’s A Teenager Dream : itinéraire d’un ingénieur du son (Le Mot et le Reste, dist. Harmonia Mundi) 2016

Page Facebook de Dominique Blanc-Francard
Site officiel de Dominique Blanc-Francard