Sept ans après Bethesda, Silvain Vanot sort de son silence pour délivrer Ithaque, septième album solitaire et dépouillé où l’on retrouve avec plaisir ce troubadour folk singulier, à la poésie touchante et sans âge. Rencontre.
"Heureux qui comme Ulysse a fait un long voyage…" Celui de Silvain Vanot aura duré presque cinq années. Cinq années durant lesquelles le Rouennais a quitté, temporairement, la chanson pour les voyages (au Brésil, souvent), l’écriture avec une biographie de Johnny Cash, ou l’enseignement, aux Beaux-Arts de Tourcoing.
La musique ne l’a pourtant jamais quitté, mais elle a pris une autre forme : des pièces instrumentales pour l’essentiel, à destination de téléfilms, documentaires ou publicités. Jusqu’à ce qu’un nouvel album ne vienne s’imposer à lui, malgré les années écoulées. "Après Bethesda (sorti également sept années après le précédent, Il fait soleil), je m’étais dit que jamais plus je n’attendrais autant !"
Alors que le chanteur, sorti après Il Fait Soleil des contingences du "music business", avait à ce moment-là "perdu l’envie", il en fut autrement au moment de composer ce septième disque. Une quête d’inspiration retardée, plutôt, doublée d’une nécessaire économie de moyens. "J’avais commencé à faire ce disque en anglais. C’étaient à peu de choses près les mêmes morceaux. Mais je n’étais finalement plus très sûr de vouloir les chanter en anglais. Je les ai donc réécrits. Il fallait aussi trouver un label, une économie de production. Et rien ne me pressait véritablement. Je n’ai plus à faire de disques tous les deux ans et rendre des comptes à un label. Mais le désir était là, il fallait simplement un déclic."
L’imaginaire du retour
Ce dernier a lieu alors que le chanteur réécoute le fruit de plusieurs mois d’enregistrement, seul, à son domicile parisien. "Un jour, en passant mes titres, par hasard, quasiment dans l’ordre actuel de l’album, je me suis rendu compte que cela racontait une histoire. Je voyais qu’il y était question de voyages, de rapports amoureux. Une sorte de fil conducteur guidait le disque."
Avec un titre choisi comme un symbole : "Ithaque", île grecque où Ulysse revint après ses années de voyage. "Je n’y suis pas allé, mais j’ai séjourné sur l’île d’en face. Il y a surtout cette dimension métaphorique du retour. L’imaginaire se met en marche. Je ne fais pas partie des gens déprimés quand ils reviennent de voyage. Je ne crois pas que le retour soit définitif, ce n’est pas une fin, un renoncement. C’est, je l’espère, beaucoup plus conquérant que ça."
Comme un moment de clarté aveuglante au milieu de ces douze chansons "souvent de pure fiction", il y a ce titre Je suis un carnet de route, sorte de confession intime où souvenirs et anecdotes vécues s’entrechoquent, entrecoupée d’un refrain en forme d’état des lieux superbe, touchant et acide à la fois. "J’ignore comment le tri s’opère, mais voyez, je suis toujours là/Loin du wagon de tête avec les indécis, ça me va."
"C’est évidemment très autobiographique, explique-t-il. J’ai le sentiment d’être au bon endroit au bon moment, de n’être plus taraudé par cette idée de compétition. Le constat, aussi, d’une carrière somme toute modeste. Alors autant le vivre sereinement et avec un peu d’humour !"
Une volonté de dénuement
Cet aveu de faiblesse assumée, cette sérénité à créer dans le dénuement se retrouve dans la matière musicale, réduite à l’essentiel (une guitare, un piano, quelques arrangements spartiates). La musique devient un véritable véhicule de ce balancement subtil qui fait l’art de Silvain Vanot : l’émotion vibrante qui s’échoue en (sou)rire narquois, la beauté des mots et des harmonies conquise âprement et sans atours.
À se demander pourquoi l’auteur d’éGérie a attendu aussi longtemps pour se lancer dans ce raid en solitaire. "Peut-être un peu par peur de la réaction des labels, parce que j’aime aussi jouer avec d’autres musiciens. Il y a bien la présence ponctuelle de deux amis, Brad Scott (au ukulélé) et John Greaves (à la basse), mais j’ai fait le reste, seul, avec mon matériel, dans ma chambre. Ce n’est pas un pis-aller, mais une autre façon de fouiller les chansons. Je voulais simplement concevoir un disque qui soit vraiment à moi."
À l’abri de l’air du temps et de la pression, le chanteur, autrefois signé sur une major et héraut d’une nouvelle pop française aux côtés de Dominique A. ou Jean-Louis Murat, vit sa carrière "en marge" avec sérénité. "Je n’ai plus de regrets par rapport à cette période. J’en ai profité. Le vent a tourné mais je suis désormais plus libre qu’avant. Et je garde le même désir, la même volonté créatrice." CQFD.