Da Silva, sans concession

Da Silva, sans concession
© richard dumas

Après avoir quitté son label historique, Tôt ou Tard, le chanteur Da Silva revient avec un nouvel album chez Pias : La Distance. Plus anglo-saxon, doté d’accents plus rock et electro, ce dernier disque s’insurge aussi contre le conformisme et les diktats sociaux.

RFI Musique : Que signifie votre titre, La Distance ?
Da Silva : Je rapproche la "distance" de celle qu’exige une mise au point photographique. Pour capturer une belle image, il faut savoir être ni trop près, ni trop loin... de même que pour écrire une chanson et trouver les "mots justes", on ne doit pas coller au sujet, ni le survoler, mais se situer à bonne distance. Ainsi, il sera possible d’éclairer des bribes de vérité.  

Est-ce à dire que vous avez recherché plus de précision dans l’élaboration de vos textes ?
Oui, et je me suis imposé cette règle : finir une chanson avant d’en commencer une autre, pour canaliser le tourbillon brouillon de mes idées. Je me suis astreint à un véritable travail d’écriture, en une lente et minutieuse fabrication. Pour chaque titre, je voulais cerner le sujet avec exactitude, et non tomber dans le travers de mon dernier album, La Tendresse des Fous (2009, ndlr), trop généraliste, trop flou, trop vague... Ici, mon texte, je l’ai paré d’un écrin musical riche, pensé, en collaboration avec mon nouveau réalisateur, Yann Arnaud.

Votre musique a, elle aussi, changé : plus rock, plus anglo-saxonne, plus fournie...
Nous avons, en effet, passé un certain temps sur les arrangements et l’orchestration. Mais je n’ai pas changé de musique : c’est toujours moi ! Je suis le fruit d’une multitude de styles. J’ai commencé par jouer de la guitare dans des groupes de rock, de garage, de punk... Puis j’ai tâté des percussions, de la musique électro (notamment sous le pseudo de Mitsu, aux Transmusicales de Rennes, en 2000, ndlr)... Ma singularité musicale résulte donc de la somme de toutes mes expériences : 18 ans de musique !

La "distance" correspond-elle aussi à celle prise avec votre label historique, Tôt ou Tard ?
Oui, bien sûr. J’ai démissionné de ma maison de disque, alors qu’il me restait un album à réaliser chez eux. Malgré une équipe super et une ligne éditoriale large, je n’étais plus heureux, je n'étais plus à ma place dans cette structure : certains éléments me crispaient, je m’endormais dans un confort routinier (album/tournée, ad lib...). Je ne me sentais plus assez vivant : je devais provoquer le danger pour me recréer, réinventer ma musique. J’ai donc pris mes cliques et mes claques, et fait la tournée des popotes pendant un an, avant de signer finalement chez Pias.

Vous qui étiez coutumier des chansons d’amour, vous élargissez aujourd’hui le spectre de vos thèmes... Ainsi, vous ouvrez l’album sur un texte "politique",
Les Concessions...
Sans être foncièrement politique, cette chanson encourage en effet l’affirmation de soi. Elle dit qu’il faudrait en avoir assez de faire des concessions systématiques. Les compromis t’amènent vers le centre, et le centre, ça n’est jamais bon ! Regardez le gouvernement actuel : avec son argument de la "grande ouverture", il a tout lissé, tout ruiné, il a atomisé les partis et laissé la part belle aux extrêmes. Idem dans les rapports humains. Tu ne peux plus montrer ton désaccord à un ami sans provoquer une brouille. Aujourd’hui, tu te dois d’être constamment malléable, souple... Mais je m’insurge : pour qu’il y ait de bonnes idées, il faut qu’il y ait débat. Or, qui dit débat, dit fortes oppositions. Soit au préalable, des prises de position tranchées. Nous devons cesser d’être constamment en demi-teinte. La société actuelle n’aime guère les caractères affirmés parce que ça emmerde le monde de compliquer les rapports : on veut des relations simples, rapides, utiles... Or, j’affirme qu’il est bon d’être complexe, de rechercher, et de taper du poing sur la table.

Vous vous insurgez donc contre un certain "polissage" social ?

Mais bien sûr ! On porte aux nues la jeunesse, le dynamisme, le bonheur... Mais on a le droit, quand même, d’être mou, triste, lent, tout en étant brillant, efficace et sensible. Moi, je n’ai pas envie d’avoir les dents blanches, ni de répondre à un quelconque diktat ! Quel est donc ce lissage perpétuel ? Les gens finissent par se cramer la tête, à force de jouer la comédie. Je ne peux plus supporter cette hypocrisie : ça irait tellement mieux, avec un peu plus d’authenticité...

Dans votre titre La Crise, vous reléguez les problèmes économiques au second plan, pour privilégier le plaisir... Un précepte ?
Avec cette chape de plomb en Une de tous les médias, j’ai l’impression qu’il y a une sorte d’acharnement sur les gens : au fil des plans d’austérité, on leur demande des tas d’efforts, en permanence. Cette chanson les déculpabilise. Elle dit : malgré la crise, vous avez le droit de rester au pieu, de profiter des plaisirs de la vie, de boire un coup, de baiser... Elle dit aussi que ce n’est pas une obligation d’avoir le dernier truc à la mode, ou de travailler comme un forçat juste pour survivre. Ce titre remet le plaisir au cœur. Pour moi, c’est hyper important, bien plus que le bonheur, sur lequel j’ai tiré un trait. Le bonheur, je le calculerai à la fin, je dresserai le bilan : et gageons qu’il sera nourri par la somme des petits plaisirs que je n’aurai cessé de m’accorder...

Da Silva La Distance (Pias) 2012
En tournée à partir du 3 février. En concert le 16 février à la Maroquinerie à Paris