Mano Solo, par-delà les chansons
Deux ans après sa mort, parait au Seuil un recueil des textes de Mano Solo : son unique roman, des poèmes déjà publiés et des inédits, des illustrations et des bandes dessinées… Pour retrouver un artiste pluridisciplinaire derrière le souvenir du chanteur.
À quarante-six ans, Mano Solo avait mené sa vie d’artiste dans plusieurs disciplines. Si le grand public connaissait bien le chanteur et donc l’auteur-compositeur, il savait moins qu’avant d’empoigner la guitare à l’aube des années 1990, celui-ci avait beaucoup manié le pinceau et le stylo dans de tout autres formes. La collection de poche Points Seuil publie, sous le titre Joseph sous la pluie, un recueil de textes et de dessins qui nous rappelle qui fut l’autre Mano Solo.
Il fut notamment romancier – tout au moins une fois. Ayant vécu plusieurs années dans une péniche à bord de laquelle il vivait et peignait, Mano Solo publia à compte d’auteur, en 1996, Joseph sous la pluie, récit d’une singulière galère qui montre son héros trop défoncé et trop envahi par ses démons pour parvenir à manœuvrer sa péniche échouée sur la berge boueuse d’un canal. Entre introspection impudique et portrait intime d’une génération blessée, cette sorte de Confession d’un enfant du siècle au temps du sida apparaît aujourd’hui, quinze ans après sa première parution, comme un document troublant sur le naufrage affectif et identitaire qui conduisit tant de jeunes gens nés autour de 1960 vers la drogue et les ruptures dangereuses – la génération punk et la génération de l’alternatif.
Puis vient le recueil Je suis là, qui fut également publié à compte d’auteur en 1996. On lit des souvenirs terrifiants dont on ne sait s’ils sont réels ou fantasmés, des confessions jaillies avec une force effarante, des accès de désespoir, de rage ou de noire félicité tout à fait dans le droit fil de ses premiers albums (La Marmaille nue en 1993, Les Années sombres en 1995).
Dans le même volume sont rassemblés des dizaines de poèmes inédits. Quelques-uns auraient pu être des chansons de Mano Solo, et certains l’ont peut-être même été, avant de rester finalement dans un carnet : on y trouve la même écriture, la même tension, la même urgence. Mais la plupart sont de tout autre facture, qu’ils soient en prose ou qu'ils appartiennent ouvertement au genre poétique. Et on se doute que certains ont peut-être été écrits pour ne pas être lus. Il y a de subits éclairs à la Ferré, des déclamations punk, des réflexions très rationnelles, des épiphanies oniriques… Il écrit : "̈La force c’est savoir crever. La force c’est pas dormir la nuit." Et, plus loin : "̈Un chien rouge qui court les rues (…) Aboyant son sang aux caravanes des dieux." On entrouvre une porte sur l’intime de Mano Solo.
Et le volume se termine par une cinquantaine de pages de dessins : images plus ou moins symboliques, bandes dessinées, transcriptions illustrées de chansons… C’est d’ailleurs la partie la plus frustrante de ce recueil : l’œuvre picturale de Mano Solo reste toujours injustement dans l’ombre.
Mano Solo Joseph sous la pluie – roman, poèmes et dessins (Points Seuil) 2012.