Miossec, trouble-fête ordinaire
Christophe Miossec publie ces jours-ci ses Chansons Ordinaires. Toujours prêt à brouiller les pistes et semer ses détracteurs, le chanteur brestois a rompu les amarres avec Yann Tiersen, et s’offre une cure de jouvence avec de jeunes musiciens de la scène rock rennaise. Le résultat : onze chansons d’amitiés perdues, de constats désabusés et de nostalgie ironique, livrées sur un lit de guitares plus bruyantes et acérées que d’habitude. Interview.
RFI Musique : Vous avez enregistré avec un jeune trio rock. Une sorte de retour aux sources ?
Christophe Miossec : Quelque part oui. Je me retrouve avec ces jeunes musiciens qui se connaissent tous. On s’enferme pour trois jours de répétition dans une ferme près de Rennes, dans des conditions rudimentaires, et je suis obligé de brailler pour que ma voix passe au-dessus de la musique ! Le problème, c’est que je me suis mis à crier aussi à l’enregistrement du disque. J’adore le faire sur scène, mais sur disque, ça ne passe pas. Peu de chanteurs savent brailler en français sans que cela soit ridicule. Bertrand Cantat y arrivait.
Vous semblez vous être trouvés une influence commune : le noise rock des années 1990…
Thomas Poli (ndlr, guitariste et transfuge du groupe rennais Montgomery) est un fan de My Bloody Valentine et Sonic Youth. Mais c’est déjà de la musique de vieux pour moi ! J’écoutais ces groupes quand j’avais vingt ans. Il y a eu beaucoup d’échanges entre nous. On jouait 6 ou 7h de musique par jour, puis on posait les instruments et on écoutait de la musique à fond, jusqu’à pas d’heure. Chanson Insomniaque a été composée à trois heures du matin, après avoir écouté le premier 45 tours des Woodentops, un groupe anglais des années 1980. J’adorais la partie batterie et Sébastien (ndlr, batteur du groupe) s’est mis à le jouer dans la foulée : le morceau est né. Ce genre d’excitation n’est pas si fréquent. Ça ne peut pas se fabriquer, mais quand ça t’arrive, c’est fabuleux.
C’est probablement votre album le plus rock. Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ?
C’est une question de contexte. En 1995, pour mon premier disque, l’époque était aux guitares saturées et à l’électro, et nous étions à peu près les seuls en France à se présenter en formation acoustique, sans batterie. Nous cherchions à nous radicaliser, et c’est en partie pour cette raison que Boire a fait du bruit.
Ce nouvel album est lui aussi très à part dans la chanson française actuelle…
C’était le but du jeu, mais ce n’était pas non plus une démarche intellectuelle. Je l’avais en tête depuis longtemps, mais il fallait trouver les bonnes personnes. Le trio était parfait. On ne s’est pas autocensuré, nous sommes passés directement des répétitions à l’enregistrement, sans entrer dans le mauvais processus de groupe où tu gommes toutes les imperfections.
À l’opposé, les textes puisent dans la chanson d’antan. Pourquoi un tel grand écart ?
Depuis quelques temps, je me suis passionné pour les chansons d’avant-guerre. Je savais qu’avec la musique qu’on était en train de faire, le mot rock nous reviendrait tout le temps à la gueule ! Du coup, baptiser ces morceaux rock de "chansons", c’est une façon de rappeler que ce n’est pas du rock français. Je trouvais drôle de truffer l’album d’emprunts à Berthe Sylva, Maurice Chevalier. Quand on parle de chanson française, on pense toujours aux groupes néo-réalistes, à tout le côté flonflon qui n’est pas du tout ma tasse de thé. Citer "Avoir un bon copain" sur le titre Chanson sympathique, c’est de l’humour. La tradition française peut avoir n’importe quel habillage sonore.
Vous trouvez l’univers de la chanson trop conformiste…
C’est le problème de la chanson française, qui est presque devenue un business sans âme. On met des mots sur des mélodies pour que ça ait l’apparence du Français, mais il n’y a pas de fond. Je pensais à cela lorsque j’ai écrit Chanson que personne n’écoute. Il n’y a pas de prise de risque, il suffit de plaire aux radios avec un single lisse, une bonne mélodie et le tour est joué. La dernière tendance, ce sont les groupes qui veulent à tout prix avoir leur spot de pub. Ces mecs se tirent une balle dans le pied. Que faire une fois que le filon est épuisé ? Arrêter la musique ?
Après ce huitième album, arrivez-vous enfin à être satisfait du parcours accompli ?
J’arrive à 47 ans, bientôt 50, et si je ne fais pas la musique qui m’intéresse maintenant, pour les bonnes raisons, je n’y arriverai jamais ! J’évite à tout prix de m’autocaricaturer, comme ça m’est arrivé par le passé. C’est pour cela que j’ai rompu avec Guillaume Jouan, mon premier guitariste. On avait fait les deux premiers albums ensemble, et le troisième était de trop. C’était devenu notre boulot, un truc un peu fonctionnaire. J’ai toujours cherché à me renouveler depuis, avec des hauts et des bas. Mais je ne suis pas allé assez loin, je trouve qu’il n’y a pas assez d’angles droits dans ma discographie.
Miossec Chansons ordinaires (PIAS) 2011
Du 20 au 23 septembre au Nouveau Casino à Paris puis en tournée française.