Disparition de Georges Moustaki

Disparition de Georges Moustaki
© E.Sadaka

Georges Moustaki s'en est allé vagabonder vers d'autres mondes, emportant avec lui une personnalité qui a marqué l'Histoire de la chanson française. Après avoir écrit pour les plus grands, ce citoyen du monde avant l'heure et poète engagé jusqu'à la fin, aura inspiré plusieurs générations. Il est décédé ce 23 mai à l'âge de 79 ans.

Il lui aura fallu attendre le mois de septembre 2006 pour voir figurer son nom dans la partie "Noms propres" du fameux dictionnaire Larousse. Georges Moustaki entre dans l'Histoire comme il est entré dans la chanson française : discrètement, mais aux côtés des plus grands !

Avec "sa gueule de métèque, de juif errant, de pâtre grec", celui qui a composé la chanson Le Métèque, traduite en douze langues, a aimé faire, tout au long de sa vie, l'éloge de la paresse et d'une certaine douceur de vivre "à la méditerranéenne".

Un flegme qui ne fut qu'élégamment feint puisque, bien que vantant les mérites du "laisser-vivre", le natif d'Alexandrie fut un dilettante hyperactif, se passionnant pour la composition et le chant en passant par la poésie, la peinture et les voyages.

Un calme toujours olympien pour cet Ulysse qui a parcouru les océans et en a restitué les beautés et les travers, dans des textes à la contestation assez fine pour en être authentique. Une douceur et une simplicité telles que Barbara disait de lui, un jour : "Moustaki, c'est ma tendresse".

De son vrai nom Yussef Mustacchi, Georges Moustaki grandit dans un creuset linguistique où français, arabe, italien, grec, turc, anglais, maltais ou arménien tourbillonnent, à la maison comme à l'école. Les voyages et la rencontre de l'étranger sont, très tôt, une évidence, tout autant que la recherche du mot juste, de la phrase parfaite et de la mélodie adéquate et la mise en valeur de ses origines juives, grecques et égyptiennes. Toutes ses passions se confondent en une carrière alternant zones d'ombre et mises en lumière, le talent de Moustaki se libérant autant en tant que compositeur qu'interprète.

Premiers récitals

Vendeur de livres de poésie au porte à porte, journaliste, chanteur de rues, pianiste d'ambiance : les jeunes années de Moustaki, débarqué en France en 1951, sont déjà teintées de petits métiers en rapport avec l'art. Jusqu'à ce qu'une rencontre, fin 1952, marque une rupture dans la vie de bohème du jeune Egyptien. Lors d'un concert d'Henri Salvador, il découvre Georges Brassens, lancé sur la route du succès grâce au Gorille. Les deux hommes se rencontrent quelques jours plus tard par le biais d'un ami. Brassens, après avoir écouté quelques-unes des chansons de Moustaki, qualifie ses créations d'œuvres "de qualité" et l'encourage à continuer.

Après un passage par Bruxelles, où il se produit dans le cabaret de la Rose Noire, Moustaki revient à Paris. Il est embauché pour quinze jours à l'Echelle de Jacob, un piano-bar de Saint-Germain des Près, où il se retrouve en première partie de Jacques Brel. Remarqué par d'autres gérants de salles, il foule alors les planches d'une dizaine d'autres salles parisiennes, rencontrant quelques-unes de ses idoles, dont Henri Salvador, Henri Crolla… et Edith Piaf.

Rencontrer "La Môme" est déterminant pour Moustaki. Tant au niveau personnel, puisqu'elle restera l'un des grands amours de sa vie, qu'au niveau professionnel : pour elle, il écrira des standards comme le fameux Milord, Faut pas qu'il se figure, Un Etranger ou T'es beau tu sais. Moustaki a 25 ans lorsqu'ils se séparent. Dès lors, il se tient dans l'ombre et compose pour Dalida, Montand, Greco, Rossi ou Barbara avant de remonter sur scène pour remplacer cette dernière au pied levé lors d'une tournée.

Le public apprécie le talent d'interprète du jeune homme et, après avoir composé une dizaine de chansons pour Serge Reggiani, Moustaki sort un album où figure Le Métèque. Nous sommes alors en 1969 et le jeune homme aux cheveux longs, au sourire charmeur de simplicité et au talent de poète de plus en plus affirmé trouve grâce aux yeux d'une génération avide de poésie libertaire. Les albums suivants, Moustaki en 1971, Georges Moustaki en 1972 ou Déclaration en 1973, servent de toile blanche à Georges Moustaki. Il en fait des tableaux inspirés par l'Egypte, la Grèce ou le Brésil, dont les plus grands représentants, Chico Buarque ou Gilberto Gil, sont ses amis.

Un prescripteur de la "World music"

Très productif, il sort entre 1972 et 1981, neuf albums. Le "métèque" parcourt le monde à la recherche de nouvelles inspirations, qu'il trouve tout autant dans la foule qui vient à ses concerts que dans les combats politiques qu'il mène.

Vagabond et humaniste dans l'âme, ses œuvres savent naturellement s'ouvrir aux musiques du monde, alors même que le terme "world music" n'existe pas encore. En 1984, il enregistre notamment un album, sans nom, entre la France et le Brésil, avant de s'associer à l'Espagnol Paco Ibañez et à l'accordéoniste Joe Rossi pour l'album Joujou, en 1986.

Tournées internationales et albums chantant les louanges de l'amour et de la liberté se succèdent sans se ressembler, tandis que le nomade à la barbe désormais blanche s'installe peu à peu au Panthéon de la chanson.

En 1988, son livre Les filles de la mémoire est traduit dans quatre langues, un "livre de souvenirs" étonnant tant on s'est peu rendu compte que le jeune Alexandrin était désormais un homme au passé chargé d'émotions et de voyages et capable de les livrer dans un récit à l'écriture fine et émouvante. En 1992, il reçoit le Prix National de la chanson. Prêt à en emmagasiner de nouveaux, il repart en tournée, ressort de nouveaux albums, s'entourant notamment de jeunes chanteurs comme Enzo Enzo ou Nilda Fernandez. Le Grand Prix de chanson française lui est décerné en novembre 2004 par la SACEM.

La même année, il reçoit la Médaille de Chevalier de la Légion d'Honneur. Autre récompense, assez amusante pour celui qui n'a acquis la nationalité française qu'une fois devenu une grande figure de la chanson hexagonale, cette entrée dans le Larousse 2007. Une nouvelle qu'il a reçue "avec surprise", et qui l'a d'autant plus touché qu'elle était "inattendue".

Son intelligence, sa simplicité, sa sensibilité et son ouverture au monde n'ont eu d'égales que son apport à la chanson française et à la culture en général. Le retrouver aux côtés des plus grands ne surprend que celui qui, désormais, doit être en train de faire un concert paradisiaque en compagnie de ceux qu'il a admirés, influencés et fait chanter au fil d'une carrière au long cours.

RFI Musique

Spéciale Moustaki : à écouter sur RFI dans la Bande Passante à 17h10 TU sur l'Afrique et à 19h10 TU  (rediffusion) Paris et le reste du monde.