Disparition de Patachou

Disparition de Patachou
Patachou © AFP / archives

C'est une artiste complète qui disparaît avec Patachou, décédée jeudi 30 avril à l'âge de 96 ans. Chanteuse, découvreuse de talents, propriétaire de cabaret, cette femme élégante et dynamique fut une personnalité incontournable de la scène musicale du Paris d'Après-guerre. Mais après 35 ans de chanson, c'est à sa réelle passion, la comédie, que Patachou a consacré la fin de sa vie.

 

Dans les dernière années de sa carrière artistique, Patachou était plutôt connue pour ses rôles de grands-mères acariâtres dans des séries populaires du petit écran (Orages d'été, Les Grandes marées). Révélée au public par la chanson, le théâtre et la comédie étaient ses réelles passions d'artiste. Elle avait pourtant fait des débuts prestigieux au cinéma en 1953 dans Femmes de Paris de Jean Boyer ou en 1954 dans French Cancan de Jean Renoir. Puis plus rien à part une comédie musicale, Impasse de la fidélité, en 1960.

Outre la télévision, quelques metteurs en scène, Paul Vecchiali, Leos Carax, Bertrand Blier, Pierre Salvadori, lui offrent sur le tard de jolis rôles, avant ses derniers films, Belphégor en 2001 et San Antonio en 2004. Mais c'est au théâtre, en 1990, que Patachou connaît son plus grand bonheur de comédienne, dans Des journées entières dans les arbres de Marguerite Duras. Un grand texte de la langue française comme ceux qu'elle a toujours défendus.

Chez Patachou

Patachou a étrangement un parcours oublié, en dépit d'un curriculum vitae qui colle à l'histoire de la chanson française. Certains se souviennent de cette petite femme drôle et énergique chez qui le tout-Paris des années 50 aimait chanter, s'amuser et écouter de nouveaux talents. D'autres de sa voix grave, de ses interprétations à la fois gouailleuses et distinguées. La jeune Henriette Ragon, que rien ne destinait au spectacle, a en effet commencé à chanter vers 1948, dans son restaurant de la butte Montmartre, une ancienne pâtisserie qui lui vaut son surnom de Patachou.

Née en 1918 dans le XIIe arrondissement parisien, Henriette/Patachou a, jusque-là, occupé divers petits emplois et passé la Seconde Guerre mondiale dans le Loiret avec son époux Jean Billon, héros de la Résistance. C'est Maurice Chevalier qui, l'entendant chanter, l'encourage à persévérer dans la chanson. De ce jour, Patachou ajoute une petite scène et le restaurant devient Chez Patachou, un cabaret incontournable du Paris musical et festif de l'après-guerre dont la chanteuse se rend célèbre en coupant les cravates des clients refusant de chanter et en les accrochant au plafond !   

Brassens

Généreuse et hospitalière, Patachou devient une "découvreuse de talents". Elle aime lancer des auteurs en interprétant leurs textes et en les accueillant. Pour de nombreux artistes, elle fait figure de leur meilleure attachée de presse. Le plus célèbre exemple reste celui de Georges Brassens. Un soir de 1952, le chanteur sétois se présente pour auditionner. Le cabaret est fermé mais Patachou l'invite à chanter devant quelques amis, le personnel, et les musiciens du cabaret dont Pierre Nicolas qui deviendra son contrebassiste. Emballée, la chanteuse l'engage, l'emmène en tournée, enregistre un duo avec lui (Maman papa) et popularise son titre les Amoureux des bancs publics.

En 1954, elle invite un Brel encore méconnu puis la liste ne fera que s'allonger : Guy Béart, Léo Ferré, Hugues Aufray, Claude Nougaro. En 1964, Michel Sardou dont le père Fernand est propriétaire d'un cabaret voisin, débute en ouvrant les portes des taxis devant Chez Patachou. Quelques mois plus tard, il y entame une carrière au cours de laquelle le fils de Patachou, Pierre Billon (né en 46), écrira quelques tubes.

Star discrète

Longtemps accompagnée par l'accordéoniste Joss Baselli (Barbara, Reggiani), qu'elle a également lancé, Patachou est elle-même une immense mais discrète vedette. Rebaptisée Lady Patachou à ses débuts, elle enchaîne les scènes prestigieuses à Paris (l'ABC, Bobino, l'Olympia), à Londres (le Palladium en 53), aux Etats-Unis où elle réside dans les années 60, en Asie et au Moyen-Orient. A l'instar d'une Edith Piaf ou plus tard d'une Juliette Gréco, elle représente la France et Paris pendant des années à travers le monde. Ses tours de chant reprennent des classiques (Mon Homme créé par Mistinguett, la Goualante du pauvre Jean créé par Piaf), des textes de jeunes auteurs (le Piano du pauvre de Léo Ferré, Bal chez Temporel de Guy Béart) et des titres, plus rares, écrits pour elle tel la Bague à Jules.

Après la fermeture de son cabaret en 1969, suite à des problèmes immobiliers, Patachou reprend la direction artistique du cabaret de la Tour Eiffel. Mais si elle a contourné la vague yé-yé en travaillant aux Etats-Unis, Patachou ne trouve plus guère sa place en France et s'éloigne. Elle prend sa "retraite" de la chanson en 1979, à la mort de son second mari l'imprésario américain Arthur Lesser. Une ultime fois, elle monte sur scène à Ramatuelle en 1985 pour des adieux. Avec la pudeur d'une artiste qui a ouvert la voie à de nombreux artistes majeurs pour elle-même disparaître presque en secret.

Catherine Pouplain-Pédron